Les empiristes anglais


Université de Genève, Été 02, ABC2 / C2
philipp.blum@philosophie.ch, Fabrice Teroni
Cours de base: Prof. J. Barnes, Locke et Berkeley, mardi 8-10, B 109
Autre cours d'intérêt: Prof. J.P. Leyvraz, David Hume, un sceptique?


Evaluation et exigences:

  • Tou-te-s les étudiant-e-s sont prié-e-s de ou bien suivre le cours du prof. Barnes ou bien de se renseigner sur ce qui s'y passe.
  • Tou-te-s les étudiant-e-s doivent lire attentivement les passages pertinents qu'on traitera dans les travaux pratiques (indiqués sur le tableau ci-dessous).
  • A chaque séance, les étudiant-e-s qui veulent obtenir une attestation doivent rendre un travail écrit d'une page qui présente et discute un des passage de Locke dont on va discuter au cours de la séance.
  • Tou-te-s les étudiant-e-s qui veulent obtenir une attestation doivent rendre un travail écrit de trois à quatre pages sur le sujet d'une session, le présenter en classe et y faire les corrections nécessaires pour la semaine d'après.
  • En total, tout-e étudiant-e doit rendre 12 pages pour avoir une attestation.


Heures de réception: Soit sur rendez-vous, soit vendredi, au restaurant, après les séminaires de doctorants.

Plan des séances

15.3.

Introduction

22.3.

La piste des idées
[Tom Schuerman]

Le livre II contient les discussions majeures. Pour une introduction générale, voir II.1, ainsi que II.8.8. Locke propose ensuite diverses subdivisions des idées, voir II.2 pour les idées simples . Pour les idées complexes, II.12 propose une discussion générale. Jusqu'à II.21, discussion des modes simples. La fin du livre II discute de nombreuses propriétés des idées, voir II.29-32.

12.4.

L'innéisme
[Tom Schuerman]

La discussion de l'innéisme est principalement contenue dans le Livre I de l'Essai ; pour la position de Leibniz, NE I ainsi que IV.7

19.4.

Les origines de nos idées
[Donatella Bernardi]

Le livre I est également pertinent sur de nombreux points. II.1 est aussi important ; II.3-7 ; IV.7. Pour Leibniz, on peut se reporter à NE II, début.

26.4.

L'abstraction
[Claude-Anne Falcheri]

Voir en particulier II.11.9ff ; II.13.13 ; III.3. IV.7.9 propose d'importantes remarques.

3.5.

Discussion générale

10.5.

Les qualités premières et secondes
[Rita Vieira-Domingos]

II.8 propose la discussion classique, mais voir aussi II.23.7ff ; II.31 et II.32.14-16 ; IV.3.10ff ; IV.3.28-29. On peut aussi consulter NE II.8.

17.5.

La substance
[Patrick De Werra]

II.23 propose la discussion standard de la substance ; voir aussi II.12.6 ; II.13.17-20 ; II.31.6-14 ; I.3.18 ; III.6 ; III.11.24ff ; IV.6.5-fin. Pour la réponse de Leibniz, voir NE II.23 ; III.6 et la fin de l'Introduction.

31.5.

L'identité (et l'identité personelle)
[Angelina Gajisin, Paloma Glauser]

II.27 est la source principale. On peut aussi consulter I.3.4. Voir aussi NE II.27 et IV.4.13.

7.6.

Les idées comme significations des mots
[Esther Benitez, Jérémy Balma]

III.1-2 ; la suite du Livre III discute de manière détaillée les mots de divers types d'idées. III.10 est également important., de même que II.29. Voir aussi NE III.11

14.6.

pas de cours

21.6.

La connaissance réelle
[Michael Bischoff, Nicolas Bloch]

Le Livre IV traite de la connaissance en général. La définition classique se trouve en IV.1. Voir aussi, par contraste, IV.15. Pour la connaissance réelle, IV.2-4 ; IV.8-11. Aussi et surtout III.6

Notes et matériel


La piste des idées

La nature des idées

Les idées sont le matériau fondamental de la construction de l'édifice lockien. Dans cette mesure, une bonne compréhension de leur statut joue un rôle essentiel pour toute tentative d'interprétation de son oeuvre. Ce qui peut paraître paradoxal, c'est que Locke ne propose jamais une discussion très détaillée du statut de celles-ci, laissant souvent planer une série d'ambiguités qui sont d'autant plus évidentes si l'on connaît le contexte philosophique dans lequel il s'insère.

Quatre textes proposent une discussion de ce qu'est une idée au sens le plus générique du terme. Tout d'abord, à la fin de l'avant-propos:

"Mais avant que d'entrer en matière, je prierai mon lecteur d'excuser le fréquent usage que je fais du mot d'Idée dans le traité suivant. Comme ce terme est, ce me semble, le plus propre qu'on puisse employer pour signifier tout ce qui est l'objet de notre entendement lorsque nous pensons, je m'en suis servi pour exprimer tout ce qu'on entend par Fantôme, Notion, Espèce, ou quoi que ce puisse être qui occupe notre esprit lorsqu'il pense, et je n'aurais pu éviter de m'en servir aussi souvent que j'ai fait."

Ensuite, au début du Livre II de l'Essai:

"Chaque homme étant convaincu en lui-même qu'il pense, et ce qui est dans son esprit lorsqu'il pense, étant des idées qui l'occupent actuellement, il est hors de doute que les hommes ont plusieurs idées dans l'esprit, comme celles qui sont exprimées par ces mots, blancheur, dureté, douceur, pensée, mouvement, homme, éléphant, armée, meurtre, et plusieurs autres."

Ces deux textes tendent à expliquer l'idée comme l'objet propre et immédiat (on y revient tout de suite) de l'entendement lorsqu'il pense, ce dernier verbe étant compris dans son extension la plus large, communément admise depuis Descartes. En ce sens, voir, entendre, juger etc. sont des manières de penser. Le second texte, de même que le premier par la mention de termes techniques usités par la scolastique, fait comprendre que Locke entend l'idée comme un objet immédiat des opérations cognitives de l'esprit. Cet objet est par ailleurs de nature mentale: l'idée n'est pas quelque chose qui se trouve hors de l'esprit et que j'appréhende par un acte, mais est un objet interne. Ceci explique les métaphores spatiales employées dans le second texte: une idée est dans l'esprit. Ceci se remarque à l'aide de deux autres textes de l'Essai. Le premier se trouve au Livre II, chapitre 8, §7-8:

"Mais afin de mieux découvrir la nature de nos idées, et d'en discourir d'une manière plus intelligible, il est nécessaire de les distinguer en tant qu'elles sont des perceptions et des idées dans notre esprit, et en tant qu'elles sont dans les corps des modifications de matière qui produisent ces perceptions dans l'esprit (…) Que si je parle quelquefois de ces idées comme si elles étaient dans les choses mêmes, on doit supposer que j'entends par là les qualités qui se rencontrent dans les objets qui produisent ces idées en nous. (…) J'appelle idée tout ce que l'esprit apperçoit en lui-même, toute perception qui est dans notre esprit lorsqu'il pense: et j'appelle qualité du sujet, la puissance ou faculté qu'il a de produire certaines idées dans l'esprit."

Le second au Livre IV, chapitre 4, § 3:

"Il est évident que l'esprit ne connaît pas les choses immédiatement, mais seulement par l'intervention des idées qu'il en a. Et par conséquent notre connaissance n'est réelle qu'autant qu'il y a de la conformité entre nos idées et la réalité des choses."

Le premier de ces deux passages propose la distinction fondamentale dans la philosophie de Locke entre l'idée et la qualité du corps matériel qui donne lieu à l'idée dans notre esprit. Cette distinction est essentielle pour bien comprendre la théorie de la perception de Locke. Ce qui est également intéressant, c'est que Locke relève l'ambiguité de certaines de ses propres affirmations, et j'ai du mal à comprendre pourquoi il n'a pas attentivement corrigé les passages en question plutôt que de lancer un avertissement général qui n'a pas eu le succès escompté. Le premier à commettre cette erreur fondamentale d'interprétation est Berkeley lui-même, qui comprend Locke comme affirmant que les qualités secondes ne sont rien que des idées. Le manque de précision de Locke sur ce sujet a rendu le passage de ce qui est une forme de réalisme représentatif à une forme d'idéalisme percepuel assez séduisant. Nous reviendrons sur ces problèmes lorsque nous discuterons de la distinction entre qualités secondes et premières.

A part ce point important, le passage en question réitère les métaphores spatiales que nous avons déjà rencontrée, mais pose une nouvelle difficulté d'interprétation, à nouveau cruciale: Locke affirme que les idées au sens strict sont…des perceptions et des idées dans notre esprit! Tout le problème est de comprendre ce que veut dire cette glose: les idées sont-elles des perceptions au sens d'actes perceptuels, ou sont elles des objets, comme les autres textes et les diverses métaphores spatiales le laissent entendre? Cette question, en apparence anodine, est en fait au coeur d'un des débats les plus chauds de la seconde moitié du XVIIème siècle. Je vais brièvement vous en présenter les grandes lignes, car ceci revêt une importance fondamentale pour une bonne évaluation du statut des idées lockiennes.

Au sein de la philosophie moderne, la notion d'idée trouve sa source dans l'oeuvre de Descartes. Le problème majeur est que les textes de cet auteur sont assez complexes, aussi ne discuterons-nous que quelques points essentiels. En premier lieu, l'idée cartésienne possède deux aspects: une réalité matérielle et une réalité objective. Il s'agit de deux aspects de l'idée, dans la mesure o? seule une distinction de raison est possible entre eux, un type de distinction que Descartes oppose à la distinction réelle et à la distinction modale. Il n'existe qu'une seule entité qui est considérée diversement par l'esprit, soit en tant que mode de la substance pensante, soit en tant qu'elle est représentative de quelque chose. Par exemple, une perception visuelle est un état mental (réalité matérielle) pourvue d'un contenu représentatif (réalité objective). Ce qu'il est important de noter, c'est que l'idée n'est pas réifiée par Descartes: l'idée n'est pas un tertium quid qui vient s'intercaler entre l'esprit et le monde, elle ne fonctionne pas comme un nouvel objet venant s'aditionner aux tables et aux chaises. Il y a cependant d'autres tendances présentes chez Descartes, qui laissent à penser qu'il soutient un réalisme représentatif comme Locke. Ce qui est vraisemblable, c'est que Descartes n'a jamais clairement distingué les deux positions en question.

Ceci explique en partie la controverse célèbre entre deux penseurs se réclamant de la tradition cartésienne: Malebranche, le grand philosophe cartésien de la fin du XVIIème, et Arnaud, figure majeure de la scène philosophique de la seconde moitié du siècle. Alors que Malebranche réifie l'idée pour en faire l'objet immédiat de l'esprit, et donc la considérer comme réellement distincte de la perception qui, en tant que mode de l'esprit, ne représente rien, Arnaud reste fidèle aux textes de Descartes parlant d'une simple distinction de raison. Ce qui est ajouté par Malebranche, c'est que l'idée est en Dieu… Pour Arnauld, lorsque je perçois un arbre, il y a une perception et un objet, celui-ci étant l'arbre matériel qui se trouve en face de moi. L'idée, en tant qu'elle est comprise comme un acte de l'esprit, ne peut-être l'objet de cet acte. Il n'y a donc pas deux objets au sein de la perception. Dans les cas typiques de perception, l'idée, au sens de modalité représentative, possède un contenu qui est une manière d'apparaître de quelque chose de matériel, existant indépendamment de moi.

Locke reprend d'Arnaud la conception de l'idée comme modification de l'esprit, car c'est en ce sens que l'idée est une réalité de type mental, interne à l'esprit de celui qui pense, mais il accepte, avec Malebranche, que ces entités sont des objets immédiats de notre perception, bien qu'elles ne soient pas extérieures à l'esprit, comme c'est le cas chez Malebranche.

Leibniz reprend à son compte la conception de l'idée comme entité concrète (Arnaud), mais refuse de les considérer comme des propriétés passagères de l'esprit, contrairement à Locke. Elles sont pour lui des dispositions de l'âme. Ceci est d'une importance capitale pour comprendre les conflits touchant au problème de l'innéité des idées.

En dernière analyse, on peut dire que les idées lockiennes sont des objets immédiats des activités cognitives, et Locke entend probablement 'perception' au sens d'objet de la perception, non au sens d'acte. D'ailleurs, Locke possède une autre locution pour parler de l'acte de percevoir: avoir une idée (having an idea). Cette dernière expression serait particulièrement déplacée si l'idée était déjà une perception Je pense que cette interprétation est la plus tenable, quoiqu'il soit peut-être philosophiquement plus séduisant d'admettre l'autre, dans la mesure o? il peut sembler paradoxal de soutenir que je ne perçois directement que des objets mentaux.

Le second de ces textes propose une distinction entre connaissance immédiate et connaissance médiate. Locke affirme ici que les idées sont les objets immédiats de la connaissance, alors que les objets matériels et leurs qualités en sont les objets médiats. C'est par l'intermédiaire des idées que je suis en contact avec les choses qui peuplent le monde: lorsque je perçois une chaise, je ne la perçois par directement, mais par le truchement d'une idée. Cette doctrine est essentielle pour la compréhension de la position de Locke comme un réalisme représentatif, avec pour corollaire l'objection que le scepticisme est au coin du bois… Le § 4 du dernier chapitre de l'Essai est aussi à prendre en considération. Il y a chez Locke cette tendance profonde à penser que les objets immédiats des activités de l'esprit doivent se trouver en relation intime avec lui, ce qui explique par ailleurs la récurrence des métaphores spatiales. Cette dimension de la thèse lockienne est fondamentale pour comprendre la volonté de Berkeley de briser le scepticisme et de proposer un réalisme direct d'un genre un peu particulier, en ce sens qu'il s'agit d'un idéalisme au sein duquel les corps sont analysés comme des agrégats d'idées et sont donc directement perçus, comme solution au problème de la perception.

Je crois que c'est en gros ce qu'il est possible de déduire de ces passages, le reste demande une confrontation de trop nombreux textes pour nous occuper ici. Ce qu'il faut retenir, c'est que sous le terme d'idée, Locke regroupe tout ce qui peut occuper l'esprit lorsqu'il pense, c'est-à.dire aussi bien ce que des philosophes plus récents ont appelé des sense-data, des images mentales, des concepts concrets ou abstraits. Une question pertinente serait de se demander dans quelle mesure un pareil regroupement n'entraîne pas une confusion fondamentale. Cependant, cette remarque reviendrait à négliger la grande unité du système lockien, dans la mesure o? les concepts sont par exemple très proches dans son système des images mentales, ce qui permet à certains critiques d'affirmer que Locke est un imagiste. C'est sans doute dans cette mesure que le système lockien est susceptible de nombreuses critiques.

Quelques distinctions fondamentales

Il nous reste à esquisser certaines des grandes caractéristiques et divisions proposées par Locke.

Je laisse de côté le chapitre important de l'origine des idées, pusique nous y consacrerons une séance entière, mais il est pertinent de souligner que les idées sont différenciées par leurs origines. Un bon indice de l'importance de ce critère se remarque dans la mesure o? Locke commence le Livre II par une discussion de cette question, et cela pour une bonne raison: le Livre I a critiqué les positions admettant des idées innées, aussi est-il normal d'aborder la disussion des idées par une analyse de leur origine.

Passons à la première distinction importante pour nous: certaines de nos idées sont simples, d'autres sont complexes. La discussion des idées simples se trouve au chap. 2 du Livre II:

"Quoique les qualités qui frappent nos sens, soient si fortes et si unies, et si bien mêlées dans les choses mêmes, qu'il n'y ait aucune séparation ou distance entre elles, il est certain néanmoins que les idées que ces diverses qualités produisent dans l'âme, y entrent par les sens d'une manière simple et sans nul mélange. Car quoique la bue et l'attouchement excitent souvent dans le même temps différentes idées par le même objet, comme lorsque l'on voit le mouvement et la couleur tout à la fois, et que la main sent la mollesse et la chaleur d'un même morceau de cire, cependant les idées simples qui sont ainsi réunies dans le même sujet, sont aussi parfaitement distinctes que celles qui entrent dans l'esprit par divers sens. (…) Et rien n'est plus évident à un homme que la perception claire qu'il a de ces idées simples, dont chacune prise à part, est exempte de toute composition, et ne produit par conséquent dans l'âme qu'une conception entièrement uniforme, qui ne peut être distinguée en différentes idées."

Ce que Locke veut dire ici, c'est, pour prendre l'exemple de la perception visuelle, que ce que je perçois directement est en quelque sorte un amalgame ou un composé d'idées, par exemple ce ballon de football est blanc et noir, sphérique… Ce qui est possible pour l'esprit, c'est de comprendre qu'il y a ici plusieurs idées: une idée correspond à la blancheur, une autre à la noirceur et une autre encore à la sphéricité, et de les distinguer, même s'il n'y avait jamais de perception d'un autre objet sphérique, ou noir, ou blanc. Vous pouvez vous reporter au Chap. 9 de ce même livre II pour voir ce que dit Locke au sujet des facultés de l'esprit. Cette capacité à une importance majeure lorsqu'il s'agit de discuter de la théorie lockienne de l'abstraction.

Une autre dimension importante de ce texte est la mise en oeuvre d'un critère permettant de séparer les idées simples de toutes les autres. C'est le suivant: une idée simple ne produit dans l'esprit qu'une conception entièrement uniforme. Ce critère est à proprement parler phénoménologique: je ne peux pas distinguer diverses manières d'apparaître de cette couleur, cette couleur m'est donc présentée par une idée simple. En revanche, je peux distinguer l'apparence de cette couleur de l'apparence de la forme du ballon, les deux donnent lieu à des impressions différentes et ces deux idées simples sont donc distinctes, l'esprit étant à même de distinguer au sein de la présentation d'un ballon rouge sa rougeur de sa forme.

Ceci entraîne des conséquences extrêmement importantes pour la philosophie du langage de Locke:

"Les noms des idées simples ne peuvent être définis, et ceux de toutes les idées complexes peuvent l'être" (III.4.4)

La seule manière d'introduire un sujet à la signification d'une idée simple, c'est de le mettre en position de percevoir cette idée: je ne peux apprendre la signification du mot bleu que par ostention. En revanche, les idées complexes peuvent se définir par une énumération des idées simples qui les composent: l'or est par exemple telle substance jaune, malléable et soluble dans l'eau régale.

Les idées simples sont ensuite le matériau de l'esprit qui peut à loisir les combiner et les étendre. Ce qui est en revanche impossible, c'est qu'un esprit se donne une nouvelle idée simple: on touche ici le fondement du système lockien. Les idées simples sont données par les sens ou par l'entendement (idées de réflexion), et il est impossible à quiconque de posséder une idée autrement que par ce moyen. Quel goût a l'ananas? Goûte-le et tu le sauras! C'est la thèse de la passivité de l'esprit à l'égard de ses idées simples.

Voyons ce qu'entraînent les diverses opérations de l'esprit par rapport aux idées simples, ce qui nous permettra de comprendre ce qu'est une idée complexe, et quels types d'idées complexes Locke admet.

"Mais quoique l'esprit soit purement passif dans la réception de toutes ses idées simples, il produit néanmoins de lui-même plusieurs actes par lesquels il forme d'autres idées, fondées sur les idées simples qu'il a reçues, et qui sont les matériaux et les fondements de toutes ses pensées. Voici en quoi consistent principalement ces actes de l'esprit: 1) à combiner plusieurs idées simples en une seule; et c'est par ce moyen que ce font toutes les idées complexes: 2) à joindre deux idées ensembles, soit qu'elles soient simples ou complexes, et à les placer l'une près de l'autre, en sorte qu'on les voie tout à la fois sans les combiner en une seule idée: c'est par là que l'esprit se forme toutes les idées des relations. 3) Le troisième de ces actes consiste à séparer des idées d'avec toutes les autres qui existent réellement avec elles; c'est ce qu'on nomme abstraction; et c'est par cette voie que l'esprit forme toutes ses idées générales." (II.12.1)

Ce texte est essentiel pour bien comprendre le statut des idées complexes, des relations et des idées abstraites. Les idées complexes, en particulier, reposent sur la combinaison de diverses idées simples opérée par l'esprit. Selon le type de combinaison et le type d'idées combinées, diverses idées complexes voient le jour. Il y a tout d'abord les idées de modes: l'idée complexe d'un mode est une combinaison d'idées simples sans la supposition d'une quelconque substance. Par exemple, l'idée de la beauté n'est pas l'idée d'une substance particulière, mais l'idée d'une propriété spécifique, idée regroupant diverses idées simples, celle de certaines couleurs et de certains traits nous dit Locke. Dans la mesure o? ces idées complexes sont composées d'idées hétérogènes, Locke les appelle des idées de modes mixtes; si elles sont "renfermés dans les bornes d'une seule idée simple" on a alors affaire à ce que Locke appelle des idées de modes simples. Des exemples de modes simples sont ceux de diverses durées et espaces, on l'esprit ne fait qu'ajouter du même au même. Le rôle des idées de modes joue un rôle très important dans toute la philosophie de Locke, en particulier dans son épistémologie, dans la mesure o? il rend compte de tout notre savoir a priori à l'aide de ces idées.

La dernière catégorie d'idée complexe est celle des idées de substance:

"Les idées de substances sont certaines combinaisons d'idées simples, qu'on suppose représenter des choses particulières et distinctes, subsistant par elles-mêmes, parmi lesquelles l'idée de substance qu'on suppose sans la connaître, quelle qu'elle soit en elle-même, est toujours la première et la principale." (II.12.6)

Contrairement aux idées de modes, les idées de substance sont celles o? l'esprit suppose, o? si vous préférez à l'intention de, représenter une chose particulière actuellement existante. La suite souligne le scepticisme lockien quant à l'idée de substance, qui contraste avec la tradition cartésienne reprise par Leibniz. Pour de plus amples discussions de l'idée de substance, vous pouvez vous référer à II.23.

On peut discuter rapidement de quelques propriétés des idées chez Locke. Les idées peuvent en premier lieu être claires ou obscures. Le critère employé par Locke est le suivant:

"De même nos idées simples sont claires, lorsqu'elles sont telles que les objets mêmes d'o? on les reçoit, les présentent ou peuvent les présenter avec toutes les circonstances requises à une sensation ou perception bien ordonnée." (II.29.2)

Le critère de clarté est donc en un certain sens comparatif, puisqu'une idée simple est claire dans la mesure o? une perception bien ordonnée permettrait de l'obtenir. Lorsque l'on couple ces remarques sur la clarté des idées simples avec le critère phénoménologique dont je parlais auparavant, cela entraîne des conséquences importantes. En particulier, Locke transforme intégralement la position cartésienne qui voyait dans les idées des sens des paradigmes d'idées obscures, une position qui sera reprise par Leibniz. Cela permet aussi une distinction nette entre l'idée, qui est toujours quelque réalité positive, et sa cause, qui ne peut être qu'une privation (voir II.8.2).

Les idées sont en outre distinctes dans la mesure o? une distinction entre elles est possible. La confusion, nous dit Locke, est due aux abus du langage, ou au manque de complexité d'idées qui auraient besoin d'être différenciées.

Il existe trois autres propriétés importantes des idées pour Locke: celles-ci peuvent être réelles ou chimériques, complètes ou incomplètes, vraies ou fausses.

"Par idées réelles j'entends celles qui ont du fondement dans la Nature; qui sont conformes à un être réel, à l'existence des choses ou à leurs archétypes" (II.30.1)

Il y a ici l'appel à la notion d'archétype, essentiel dans la philosophie de Locke, puisque cette notion permet de distinguer les idées des modes, ou l'esprit n'est pas limité par un archétype existant dans la nature (mais qui sont, comme le dit Locke "leurs propres archétypes"), des idées de substance qui sont chimériques dans la mesure o? la combinaison d'idées simples supposées coexister ne se rencontrent pas. Ce qu'il faut noter également, c'est que Locke affirme que les idées simples sont toutes réelles, dans la mesure o? même les idées de qualités secondes covarient avec des pouvoirs dans les choses qu'elles nous font connaître.

Les idées sont complètes lorsqu'elles

"représentent parfaitement les originaux d'o? l'esprit suppose qu'elles sont tirées." (II.31.1)

A nouveau, toutes les idées simples, ainsi que les idées de modes, satisfont le critère. Ceci peut paraître surprenant dans la mesure o? les idées de qualités secondes pourraient être conçues comme incomplètes. Cependant, Locke affirme qu'une idée correspond à une puissance dans l'objet, ainsi sommes-nous assurés de l'existence d'une telle puissance dans le sucre lorsque nous en perçevons la blancheur. Les idées simples nous mettent en relation avec des puissances, et sont ainsi complètes dans la mesure o? elles leur correspondent, sans pour autant que l'esprit soit en mesure de comprendre quel est la base matérielle de ces puissances.

La discussion de la fausseté des idées se trouve au chap. 32 du Livre II.

Pour résumer ces quelques remarques sur les divers types d'idées et les diférentes manières de les évaluer, il est possible d'affirmer que Locke met l'accent sur le rôle essentiel des idées simples au sein de son édifice en leur reconnaissant toutes les propriétés positives qu'il reconnaît aux idées. L'empirisme de Locke prend racine sur des données des sens claires et distinctes, et notre confusion est responsable des difficultés que nous rencontrons aux étages supérieurs…

La Nature des idées et quelques distinctions

"Mais avant que d'entrer en matière, je prierai mon lecteur d'excuser le fréquent usage que je fais du mot d'Idée dans le traité suivant. Comme ce terme est, ce me semble, le plus propre qu'on puisse employer pour signifier tout ce qui est l'objet de notre entendement lorsque nous pensons, je m'en suis servi pour exprimer tout ce qu'on entend par Fantôme, Notion, Espèce, ou quoi que ce puisse être qui occupe notre esprit lorsqu'il pense, et je n'aurais pu éviter de m'en servir aussi souvent que j'ai fait." (Avant-Propos)
"Chaque homme étant convaincu en lui-même qu'il pense, et ce qui est dans son esprit lorsqu'il pense, étant des idées qui l'occupent actuellement, ilest hors de doute que les hommes ont plusieurs idées dans l'esprit, comme celles qui sont exprimées par ces mots, blancheur, dureté, douceur, pensée, mouvement, homme, éléphant, armée, meurtre, et plusieurs autres." (II.1.1)
"Mais afin de mieux découvrir la nature de nos idées, et d'en discourir d'une manière plus intelligible, il est nécessaire de les distinguer en tant qu'elles sont des perceptions et des idées dans notre esprit, et en tant qu'elles sont dans les corps des modifications de matière qui produisent ces perceptions dans l'esprit (…) Que si je parle quelquefois de ces idées comme si elles étaient dans les choses mêmes, on doit supposer que j'entends par là les qualités qui se rencontrent dans les objets qui produisent ces idées en nous. (…) J'appelle idée tout ce que l'esprit apperçoit en lui-même, toute perception qui est dans notre esprit lorsqu'il pense: et j'appelle qualité du sujet, la puissance ou faculté qu'il a de produire certaines idées dans l'esprit." (II.8.7-8)
"Il est évident que l'esprit ne connaît pas les choses immédiatement, mais seulement par l'intervention des idées qu'il en a. Et par conséquent notre connaissance n'est réelle qu'autant qu'il y a de la conformité entre nos idées et la réalité des choses." (IV.4.3)
"Quoique les qualités qui frappent nos sens, soient si fortes et si unies, et si bien mêlées dans les choses mêmes, qu'il n'y ait aucune séparation ou distance entre elles, il est certain néanmoins que les idées que ces diverses qualités produisent dans l'âme, y entrent par les sens d'une manière simple et sans nul mélange. Car quoique la bue et l'attouchement excitent souvent dans le même temps différentes idées par le même objet, comme lorsque l'on voit le mouvement et la couleur tout à la fois, et que la main sent la mollesse et la chaleur d'un même morceau de cire, cependant les idées simples qui sont ainsi réunies dans le même sujet, sont aussi parfaitement distinctes que celles qui entrent dans l'esprit par divers sens. (…) Et rien n'est plus évident à un homme que la perception claire qu'il a de ces idées simples, dont chacune prise à part, est exempte de toute composition, et ne produit par conséquent dans l'âme qu'une conception entièrement uniforme, qui ne peut être distinguée en différentes idées." (II.2.1)
"Mais quoique l'esprit soit purement passif dans la réception de toutes ses idées simples, il produit néanmoins de lui-même plusieurs actes par lesquels il forme d'autres idées, fondées sur les idées simples qu'il a reçues, et qui sont les matériaux et les fondements de toutes ses pensées. Voici en quoi consistent principalement ces actes de l'esprit: 1) à combiner plusieurs idées simples en une seule; et c'est par ce moyen que ce font toutes les idées complexes: 2) à joindre deux idées ensembles, soit qu'elles soient simples ou complexes, et à les placer l'une près de l'autre, en sorte qu'on les voie tout à la fois sans les combiner en une seule idée: c'est par là que l'esprit se forme toutes les idées des relations. 3) Le troisième de ces actes consiste à séparer des idées d'avec toutes les autres qui existent réellement avec elles; c'est ce qu'on nomme abstraction; et c'est par cette voie que l'esprit forme toutes ses idées générales." (II.12.1)
"Les idées de substances sont certaines combinaisons d'idées simples, qu'on suppose représenter des choses particulières et distinctes, subsistant par elles-mêmes, parmi lesquelles l'idée de substance qu'on suppose sans la connaître, quelle qu'elle soit en elle-même, est toujours la première et la principale." (II.12.6)
"De même nos idées simples sont claires, lorsqu'elles sont telles que les objets mêmes d'o? on les reçoit, les présentent ou peuvent les présenter avec toutes les circonstances requises à une sensation ou perception bien ordonnée." (II.29.2)
"Par idées réelles j'entends celles qui ont du fondement dans la Nature; qui sont conformes à un être réel, à l'existence des choses ou à leurs archétypes" (II.30.1)


L'innéisme

Résumé du cours

Les objéctions de Locke contre l'innéisme:

  • Manque de consentement universel: Il n'a pas de principes universellement acceptées parmi les adultes.
  • Manque de constitutants: Il n'y a pas d'idées innées chez des enfants.

  • Manque de transparence: S'il y avait des principes innés, on devrait s'en être conscient. Mais on ne l'est pas.
  • Besoin d'enseignement: Les vérités qui sont dites innées n'avaient pas besoin d'être enseignées. Mais elles sont enseignées.
  • Décalage temporelle: Les vérités qui sont dites innées ne sont pas appris tout de suite après l'apprentissage de l'usage de la raison.
  • Trop d'idées innées: S'il y avait des idées innées, il y en avait trop.

Donc l'innéisme est une théorie empiriquement fausse.

Réaction de Leibniz (NE 86): Locke a mal compris la théorie; elle ne postule pas des connaissances explicites, mais maintient que nous (les adultes) sont aptes / enclins / disposés à accepter quelques principes: notre esprit est préfiguré pour la connaissance de certains principes plutôt que d'autres, comme l'est un bloc de marbre a recevoir une forme plutôt qu'une autre (NE 52). Il défend donc un principe comme le suivant (Bennett 2001: 41):

Si p est une vérité nécessaire, alors quand une personne découvre que p, alors elle se rend compte d'une connaissance que p qu'elle possédait déjà.

Mais Locke rejette cette position dans I,ii,5 par un dilemme: ou bien ces principes sont connus (ce qui peut être réfuté empiriquement) ou bien les principes sont seulement connaissable (ce qui est vrai de tous les principes qui existent et ne peut pas servir à identifier les plus basiques).

On peut invoquer une distinction entre capacités et dispositions pour sauver Leibniz. Même si on est capable de connaître tous les principes, on n'est pas enclin de les accepter tous (o? au moins on ne devrait pas l'être, vu qu'il y en a des contradictoires). C'est plus ou moins la position que Noam Chomsky a défendu par rapport aux 'universaux linguistiques', i.e. les structures mentales qui nous permettent d'apprendre une langue naturelle.

Le problème avec cette analogie est que toutes les langues naturelles possibles ont la même valeur cognitive pour un enfant qui les apprend (faisant abstraction de son environment bien-sûr). Les régularités dans les 'choix' faits par les enfants peuvent donc nous servir comme évidence pour une disposition innées (en l'absence d'autres explication possibles). Ce n'est pas le cas des propositions qui se distinguent dans le faits que quelques-unes sont vraies, plus utiles, plus générales, plus évidentes etc.

Pour défendre l'innéisme, on pourrait adopter un principe comme le suivant (cf. Bennett 2001: 38):

p est un principe inné ssi il y a des conditions C tel que, si C obtient, tout le monde sait que p.

Descartes est le plus plausiblement pris d'avoir défendu une telle théorie, o? C est remplacé par 'dans l'usage le plus complet de notre intelligence naturelle menée que par la lumière naturelle et non pas par l'évidence des sens'. Les principes innés sont donc assimilés aux connaissances a priori.

Mais il reste vrai que même si on avait une disposition innée d'accepter certains principes, cela n'aidera pas au protagoniste de l'innéisme d'y trouver un fondement de tous nos connaissances, puisque un tel fondement devrait avoir toutes les propriétés mentionnées ci-dessus (i.e. consister de propositions vraies, certaines, évidentes, générales etc.).


L'innéisme de Chomsky

  • Chomsky, Noam 1959, 'Review of Skinner, Verbal Behavior', Language 35, 26-58; reprinted in: Block, Ned, ed., 1980, Readings in the Philosophy of Psychology, vol. 1, Harvard
  • Chomsky, Noam 1966, Cartesian Linguistics - A Chapter in the History of Rationalist Thought, New York, Harper & Row
  • Chomsky, Noam 1967, 'Recent Contributions to the Theory of Innate Ideas', Synthese 17, 2-11
  • Chomsky, Noam 2000, New Horizons in the Study of Language and Mind, Cambridge, Cambridge University Press

Avec sa critique fondamentale en 1959 de l'école dominante en psychologie qui était le behaviourisme, Noam Chomsky a declenché une nouvelle tradition qui est devenue dominante aujourd'hui. L'idée de base était de ne plus se contenter d'une description superficielle et en cachet normative des langues naturelles comme on l'a trouve dans les grammaires utilisées toujours dans les écoles, mais de construire ce que Chomsky appellait une grammaire générative:

'By a 'generative grammar' I mean a description of the tacit competence of the speaker-hearer that underlies his actual performance in production and perception (understanding) of speech.' (1966: 75)

Une distinction cruciale est faite ici entre la compétence d'un sujet et sa performance actuelle. La performance actuelle dépend des facteurs accidentelles comme l'attention, la fatigue, les idiosyncrasies et défauts articulatoires personnelles etc., bien que la compétence sous-jacente forme le sujet de la linguistique.

Dès le début, Chomsky a essayé de rapprocher ses idées des idées historiques du dix-septième. Il a trouvé des précurseur notammant dans l'école cartésienne qui a développée à partir de la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal (1660), et, plus tard, notamment chez Humboldt. Il cite à plusieurs reprises le passage célèbre du Discours de la Méthode o? Descartes prends la capacité linguistique comme première marque de la distinction entre hommes (i.e. substances mentales) et animaux (qui, selon lui, sont des automates dénoués d'une âme raisonnable).

Comme argument, il utilise une observation qui était à la base du anti-behaviorisme de Chomsky: la capacité humaine de parler et comprendre une langue est extraordinaire en ce qu'elle ne dépend pas de stimuli présent et s'étend à des phrases qui n'ont encore jamais été ni dites ni entendues. Cette créativité linguistique ne peut pas être expliquée par les théories anciennes:

'To attribute the creative aspect of language use to 'analogy' or 'grammatical patterns' is to use these terms in a completely metaphorical way, with no clear sense and with no relation to the technical usage of linguistic theory.' (1966: 12)

En contraste, cette créativité a été pris en sérieux par les grammariens cartésiens:

'... one fundamental contribution of what we have been calling 'Cartesian linguistics' is the observation that human language, in its normal use, is free from the control of independently identifiable external stimuli or internal states and is not restricted to any practical communciative function, in contrast, for example, to the pseudo language of animals, It is thus free to serve as an instrument of free thought and self-expression.' (1966: 29)

Guidé par leur dualisme, les linguistes cartésiens ont aussi préfiguré la distinction cruciale entre ce que Chomsky appelle la 'deep structure' et la 'surface structure' d'une langue, le premier étant 'the underlying abstract structure that determines its semantic interpretation' (1966: 33) et le deuxième étant 'the superficial organization of units which determines the phonetic interpretation and which relates to the physical form of the actual utterance, to its perceived or intended form' (1966: 33). La 'deep structure' est, selon les deux vues en question, une réflexion de la structure de la pensée humaine et donc égale à toutes les langues naturelles (1966: 35).

A partir des années soixante-dix, cette théorie a été raffinée considérablement et plusieurs tentatives ont été faites de l'étendre à une sémantique des langues naturelles.

1) Descartes

Descartes et la tripartition des idées dans la Méditation III: innées, adventices et créées par moi.

Descartes attribue l'innéité parfois à une pensée occurente, parfois à la faculté de penser. Dans ce dernier sens, on peut dire qu'une idée innée peut une disposition innée de l'esprit à avoir certaines pensées.

Parfois, comme dans les Commentaires sur un certain Placard, Descartes semble confondre la faculté de penser en général avec certaines dispositions particulières à penser. C'est un domaine o? Leibniz est beaucoup plus clair.

Semble que les idées innées soient des pensées qui sont causées par des dispositions mentales. Porte sur la cause de certaines idées. Ne cherche pas à analyser les dispositions en des propriétés plus fondamentales.

a) idées sensibles innées?

De nouveau dans les Commentaires, l'exemple des ouvriers et du contremaître laisse supposer que c'est la disposition mentale qui est la cause première, alors que le stimulus externe est une cause accidentelle. On retrouve ce type d'analyse chez Leibniz, dans le Livre I des Nouveaux Essais.

Dans ce même texte, Descartes affirme que toutes les idées sensorielles sont innées, dans le sens o? elles dépendent causalement d'une disposition mentale.

Lié à son refus de la compréhension scolastique de la perception comme transfert littéral de qqch de l'objet physique à l'esprit. Ceci tend vers une forme d'occasionalisme du type de celui de Malebranche, mais est en contradiction avec la tripartition des idées proposée dans les Méditations. Il existe aussi un lien avec les diverses manières de comprendre la causalité, mais je laisse ceci de côté.

b) idées intellectuelles

Sont innées dans le sens plus fort qu'elles ne sont ni abstraites de ni données par les sens. Les idées intellectuelles ne sont pas données dans l'expérience sensible, contrairement aux idées des sens. Leibniz

Dans les 5èmes réponses à Gassendi, Descartes indique que nous ne pourrions penser au triangle sans en posséder l'idée innée parce que les sens ne sont pas capables de nous fournir une figure géométrique parfaite. A contraster avec la solution proposée par Locke au problème de ce type d'idées.

Autre tendance de Descartes à admettre une théorie occurentielle mais confuse des idées innées, comme le fera par la suite Leibniz (Lettre à Hyperapsistes)

Descartes semble confondre parfois ce qui est occurentiel mais sans que l'attention soit dirigé sur lui avec ce qui est simplement potentiel.

Ce ne sont pas seulement les idées qui sont innées, mais aussi certaines vérités. Lien avec la libre création des vérités éternelles. Descartes a en un sens besoin des vérités innées pour permettre aux esprits finis de penser aux vérités nécessaires, dans le sens o? celles-ci sont également le résultat d'une libre création divine. Ceci est très différent de la solution lockienne par l'évidence, dans la mesure o? Descartes dirait que cette évidence ne permet pas de fonder une connaissance en harmonie avec ce qui a été voulu par Dieu.

Il existe diverses tendances dans la compréhension des idées innées par Descartes, qui ont diversement influencé les philosophes du XVII, certaines tendant vers une véritable épidémie de l'inné, comme il est possible de le retrouver dans la théorie de Leibniz, d'autres plus modérées comme au sein des Méditations. Les critères opérant ces distinctions sont assez variés.


2) Malebranche

Malebranche démontre que la théorie innéiste n'a pas reçu l'approbation que beaucoup d'historiens de la philosophie ont estimé qu'elle avait obtenue dans les cercles cartésiens. Au contraire, le plus important penseur de cette tradition, et sans doute le plus influent, s'y oppose de manière absolue.

Idées ne sont pas des modifications de l'esprit, sont éternelles et ne dépendent pas d'un quelconque esprit. Il n'y a donc aucun sens à parler de leur innéité. Si l'on parle des perceptions, elles sont passagères et il n'y a aucun sens à parler de leur présence dans l'esprit depuis la naissance. On retrouve une distinction entre pensée et idée dans les Nouveaux Essais pouvant être comprise comme réponse à cette remarque.

Reformuler la théorie comme dispositionnelle. Mais ces appels à des facultés ne sont que des pseudo-explications pour Malebranche.


3) Leibniz

Tout comme pour Malebranche, idées ne peuvent être des pensées occurentes, ne sont pas transitoires. Ne sont pas pour autant abstraites, mais psychologiquement réelles. Ce sont des dispositions: veut dire que nous pouvons penser (de manière occurente) à?

Dispositions psychologiques innées

«Et avoir une chose sans s'en servir, est-ce la même chose que d'avoir seulement la faculté de l'acquérir? Si cela était, nous ne posséderions jamais que des choses dont nous jouissons: au lieu qu'on sait qu'outre la faculté et l'objet, il faut souvent quelque disposition dans la faculté ou dans l'objet ou dans toutes les deux, pour que la faculté s'exerce sur l'objet.» (NE I.1.5, pp.62-3)

En ce sens, il est naturel pour Leibniz de refuser l'argument du consentement (NE I.1.3). Dans la mesure o? une idée est une disposition, sa considération peut demander un effort complexe de la part du sujet, aussi aucune investigation empirique ne peut nous apporter une réponse à la question de l'innéité. C'est également pour cette raison que Leibniz accepte que tout théorème mathématique est inné, de même que tout ce qu'il est possible de dériver d'un tel théorème à l'aide de démonstrations. C'est le contraste entre les vérités de raison, nécessaires et fondées sur des idées que les sens ne peuvent fournir, et les vérités de fait.

Il y a donc un contraste entre les idées innées et les principes innés. L'idée d'un dodécagone est innée dans le sens o? c'est l'entendement qui me la fournit, je n'ai nullement besoin de me trouver en face d'un dodécagone pour en former l'idée. Réponse à la critiqued de la multiplicité des idées innées par Malebranche: idée innée de l'extension est suffisante pour baser toutes nos connaissances concernant la géométrie, par exemple. Cette idée est donc innée dans ce sens, mais elle ne possède pas l'influence qu'exercent les prinicipes innés fondamentaux dans l'ordre et la connexion de nos pensées. Au contraire, les prinicipes innés exercent une influence permanente sur la manière dont nous pensons, au moins pour les plus fondamentaux d'entre eux. C'est ce qui fait la force de la réponse de Leibniz aux critiques de l'innéisme: on peut qualifier d'inné un principe qui régit notre manière de raisonner, au sens o? les formes d'inférences que nous faisons régulièrement présupposent la présence d'un principe de ce type. Locke dirait que les cas particuliers sont plus clairs, Leibniz répond qu'il sont néanmoins fondés sur ces principes généraux. L'ordre des raisons n'est pas celui de la découverte.

«Car les principes généraux entrent dans nos pensées, dont ils font l'âme et la liaison. Ils y sont nécessaires comme les muscles et les tendons le sont pour marcher, quoiqu'on n'y pense point. L'esprit s'appuie sur ces principes à tous moments, mais il ne vient pas si aisément à les démêler et à se les représenter distinctement et séparément.» (NE I.1.20, p.66)

Les principes sont fondés sur des idées innées que l'intellect possède sans l'intervention des sens. Elles ne sont que virtuellement présentes mais exercent leur influence par le biais des principes qui structurent notre pensée. La connaissance actuelle des principes dépend de la connaissance actuelle des idées qui forment ces principes, aussi un principe est-il virtuellement présent dans la mesure o? les idées qui le composent le sont également. Sa considération actuelle demande parfois une grande attention et un esprit formé aux sciences abstraites.

Ces principes innés s'appliquent ensuite à diverses idées, soit fournies par les sens, soit données par l'entendement. Leur influence indique leur présence dans l'esprit.

Remarques

Autre tendance des petites perceptions. Lien avec ce que nous avons vu chez Descartes, de même qu'avec la grande méfiance de Leibniz pour les dispositions comme solution ultime à un problème.

Idées de réflexion sont idées innées. Voir la Préface des NE (p.40). Ceci est une nouvelle théorie de l'innéité. Soit nous avons une propension innée à penser à x, soit nous acquérons l'idée simplement par réflexion. Leibniz ne discute pas vraiment du lien entre ces deux théories. Par exemple, si l'idée en tant que disposition est acquise par réflexion, elle n'est pas innée dans le sens o? elle serait présente depuis la naissance. Dans la Préface, Leibniz semble confondre des propriétés de l'esprit comme la substantialité et l'unité avec des idées de celles-ci.Voir aussi NE I.1. La conception réflexive est beaucoup plus limitée que la conception dispositionnelle. Cette position est aussi en un sens circulaire, dans la mesure o? il est difficile de comprendre comment j'acquiers par exemple l'idée d'unité sur la base d'une attention portée vers mon esprit. Présuppose la possession du concept.

Idées innées comme dispositions doit permettre de faire la distinction entre ce qui est inné et ce qui ne l'est pas par la spécification du type de stimulus nécessaire à l'activation de ce type de disposition (NE I.1.5, p.61). Lorsqu'on parle de disposition, il faut faire en effet appel à des circonstances dans lesquelles la disposition se manifeste. Il y a sans aucun doute un lien ici entre ceci et la théorie réflexive de l'innéité, mais cela nous entraînerait trop loin. Ne se pose pas dans la théorie stricte de Leibniz.

Locke a une réponse à la version dispositionnelle de la théorie innéiste: c'est sa distinction entre le savoir actuel et le savoir habituel et les critères stricts régissant l'attribution d'un savoir du second type. Locke met l'accent sur la connaissance actuelle.



Les origines de nos idées

I. Des idées simples

Dans II, i, 2, Locke esquisse l'image de l'esprit comme tabula rasa, à qui l'expérience (sensation et réflexion) fournit les idées simples dont il fait des idées complexes. L'affirmation que l'expérience est l'origin premier de toutes les idéées est présentée comme théorie empirique, basé sur des observations de gens privées d'expériences qui manquaient d'idées en conséquent.

L'objection célèbre de Hume contre cette théorie est donné par l'exemple du "missing shade of blue": il semble nous être possible de compléter une série continuelle de couleurs avec l'élément manquant (le bleu de Prusse, p.ex.).

Une réponse possible pour Locke serait de dire qu'il ne s'agit pas ici d'une idée simple, mais que c'est l'idée d'un espèce d'un certain genre (bleu). Il devait donc admettre que nous recevons des idées complexes de la sensation.

Il se pose donc la question si non seulement l'association entre les idées composées (du point de vu du contenu et de leur structure interne) et les idées dérivées (du point de vue de leur relation à nous et de leur histoire causale), mais aussi celle entre les idées simples et les idées originaires est brisée (il maintient les deux correspondances tout le long du livre II). Qu'est-ce que serait une idée simple que nous pouvons nous fabriquer nous-mêmes?

Mais il reste le cas que l'admission des idées complexes originaires ne changerait rien d'essentiel à l'empiricisme de Locke: on recevrait juste plus de matériel de l'expérience et on a, même dans le cas de la nuance de couleur manquante, besoin d'expérience pour se former une telle idée.

II. Des idées complexes

En II,xii,i, Locke distingue trois façons dont nous fabriquons des idées: (i) par combinaison de plusieurs idées simples en des idées complexes (p.ex. l'idée d'un vol); (ii) par juxtaposition de différentes idées (simples ou complexes) en des idées de relations (cf.II,xxv,7) et (iii) par abstraction, c'est-à-dire par séparation d'une partie d'une idée d'autres parties et d'autres idées.

Pour l'acte mentale de l'abstraction, Locke suit la théorie de Arnauld et Nicolet présentée dans la logique de Port-Royal, qui représentait la logique standard de l'époque.

En III,iii,1, Locke observe qu'il n'est pas le cas que tous les mots sont des noms propres, même si tout ce qui existe et particulier. Il s'ensuit donc, "par raison et par nécessité" qu'il y a des idées générales, les mots devenants générales en étant instaurés comme signes d'idées générales. Ces idées générales sont formées par isolement d'une partie commune de différentes idées singulières de différentes entités particulières et par séparation de cette partie commune des parties qui individualisent les différentes idées singulières (la partie commune à mes idées de différents lamas est l'idée générale du lama).

Idées simples et idées complexes

La position de Locke sur la question de l'origine de nos idées introduit la distinction capitale entre les idées simples et les idées complexes.

« Car quoique la vue et l'attouchement excitent souvent dans le même temps différentes idées par le même objet (?) cependant les idées simples qui sont ainsi réunies dans le même sujet, sont aussi parfaitement distinctes que celles qui entrent par l'esprit par divers sens. » II.2.1

La perception donne des idées variées en même temps. Lorsque je perçois un objet matériel, celui-ci produit toujours une multitude d'idées dans mon esprit. Celles-ci sont distinctes, comme l'indique le chapitre 29, dans la mesure « o? l'esprit aperçoit une différence qui la distingue de toute autre idée. »

Le critère de la simplicité d'une idée consiste en ce qu'elle entre par les sens d'une manière simple et sans mélange, qu'elle donne lieu à une conception uniforme, qui ne peut être distinguée en plusieurs idées. Ce critère proprement phénoménologique de la simplicité d'une idée est par exemple discuté par Leibniz, qui voit dans les idées des sens des paradigmes d'idées obscures et complexes, dans la mesure o? elles représentent de manière confuse des qualités complexes des corps. Cette position avait été également défendue par Descartes :

« Il est donc évident, lorsque nous disons à quelqu'un que nous apercevons des couleurs dans les objets, qu'il en est de même que si nous lui disions que nous apercevons dans ces objets je ne sais quoi dont nous ignorons la nature, mais qui cause pourtant en nous un certain sentiment fort clair et manifeste qu'on nomme le sentiment des couleurs. » Principes, I.70

Pour Descartes, comme pour Leibniz, le fait que l'idée corresponde à une qualité complexe du corps (par exemple, comme l'affirme Leibniz, à certains mouvements) implique que l'idée elle-même est complexe, la simplicité phénoménologique n'étant que l'indice d'une confusion qu'il s'agit de résoudre.

«Je crois qu'on peut dire que ces idées sensibles sont simples en apparence, parce qu'étant confuses, elles ne donnent point à l'esprit le moyen de distinguer ce qu'elles contiennent. (?) Je consens pourtant volontiers qu'on traite ces idées de simples, parce qu'au moins notre appeception ne les divise pas, mais il faut venir à leur analyse par d'autres expériences et par la raison, à mesure qu'on peut les rendre plus intelligibles. » NE II.2.1
« Je dis donc qu'une idée est claire lorsqu'elle suffit pour reconnaître la chose et pour la distinguer : comme lorsque j'ai une idée bien claire d'une couleur, je ne prendrai pas une autre pour celle que je demande, et si j'ai une idée claire d'une plante, je la discernerai parmi d'autres voisines ; sans cela l'idée est obscure. Je crois que nous n'en avons guère de parfaitement claires sur les choses sensibles. » NE II.29.2
« Elles sont claires, car on les reconnaît et on les discerne aisément les unes des autres, mais elles ne sont point distinctes, parce qu'on ne distingue pas ce qu'elles renferment. » NE II.29.4

La simplicité de l'apparence que donne la rougeur à l'esprit est un signe de la confusion avec laquelle nous appréhendons la qualité du corps par les sens, dans la mesure o? cette idée est analysable en d'autres idées, mais que la perception doit laisser la place à la raison pour qu'une telle analyse soit possible. Les idées fournies par les sens tombent très souvent dans cette catégorie, aussi sont-elles complexes.

Locke, en revanche, distingue, comme on le verra plus loin, la réalité des idées de toute considération du type de qualité dans l'objet qui la cause. C'est en cela que son critère est phénoménologique. C'est également dans cette mesure que le passage de la sensation de rougeur à la compréhension scientifique de la rougeur est pour Leibniz une décomposition d'un concept complexe qui permet de posséder une idée claire de la qualité en question, alors que pour Locke il est impossible de posséder une idée de couleur autrement que par la vue. D'ailleurs, le critère de la clareté de l'idée est lié à la perception chez Locke (II.29), contrairement à Leibniz Les critères régissant la satisfaction de la simplicité pour des idées sont radicalement différents chez les auteurs de la tradition empiriste (Locke et Hume en particulier) et chez les rationalistes (Descartes et Leibniz). Ceci est un sujet très complexe qui nécessite une compréhension des différences de la nature des idées chez Locke et Leibniz.

Les deux sources de nos idées

Cette distinction étant clarifiée, il convient d'examiner l'origine de nos idées simples. Celles-ci ont deux sources fondamentales : la réflexion et la sensation. Locke suppose également une dépendance de la première source par rapport à la seconde, puisque l'esprit considère lors de la réflexion « ses propres opérations par rapport aux idées qu'il vient de recevoir. » (II.6.1) Ceci signifie que la réflexion est si l'on peut dire une source dérivée de nos idées, non dans la mesure o? elle ne fournit pas d'idées particulières et originales, mais dans la mesure o? les activités de l'esprit dont ces idées simples dépendent n'existent que lorsque l'esprit s'exerce sur des idées de sensation. On peut remarquer ici une importante thèse empiriste de Locke, puisqu'il affirme que la condition fondamentale de toute possession d'idée consiste dans l'activité des sens. Les sens fournissent certaines idées et rendent possible la réflexion qui en livre d'autres. La considération de mes capacités cognitives dépend de leur mise en exercice par les matériaux donnés par les sens.

Le chapitre 3 du second Livre propose la distinction fondamentale la plus détaillée des idées simples en considération de leur source :

1) : certaines idées ne proviennent que d'un seul sens (les idées de couleurs, l'idée de la solidité qui est importante pour la conception lockienne du corps)

2) : d'autres idées peuvent être fournies par plus d'un sens (idée de l'espace, du mouvement et du repos : ce sont les sensibles communs discutés depuis la plus haute antiquité)

3) : les idées fournies par la seule réflexion. Ces idées sont celles de perception et de volonté. Locke indique en outre qu'il comprend les diverses activités cognitives comme des modes de la perception : ainsi le souvenir, le discernement, la distinction?

Pour la perception, il faut se reporter au chapitre 9. Locke y affirme la passivité de l'esprit lors de la perception. Ces idées peuvent en revanche se trouver modifiées par le jugement habituel, lien avec le problème de Molyneux.

4) : les idées qui peuvent être obtenues soit par sensation, soit par réflexion. Ce sont les idées de plaisir et de douleur, l'idée de puissance (par l'exercice de la volonté et par les effets que les corps peuvent exercer les uns sur les autres), d'existence et d'unité.

Cette dernière catégorie d'idées simples est assez variée. Locke met l'accent sur ce que l'on appellerait aujourd'hui la tonalité affective de la plupart de nos activités, et explique comment ceci possède un lien avec l'action. Il y a en outre ici des idées que l'on pourrait à première vue qualifier d'abstraites, telles celles d'unité et d'existence. Cependant, se sont des idées d'existence et d'unité particulières qui sont mentionnées ici, de même qu'au sein de la perception c'est la blancheur particulière de cette étoffe qui m'est donnée, non l'idée générale de blancheur. Pour résumer, si l'esprit reçoit un grand nombre d'idées différentes en même temps par la perception, il a en outre la faculté de distinguer ces multiples idées simples les unes des autres. Ensuite, d'autres facultés entrent en jeu et permettent la formation d'idées abstraites.

II.8 propose quelques importantes clarifications. D'abord, les idées simples sont toujours réelles et positives, même si elles correspondent à une simple privation dans l'objet.

« Or ce sont deux choses bien différentes, et qu'il faut distinguer exactement : car autre chose est, d'apercevoir et de connaître l'idée du Blanc ou du Noir, et autre chose d'examiner quelle espèce et quel arrangement de particules doivent se rencontrer sur la surface d'un Corps pour faire qu'il paraisse blanc ou noir. » (II.8.2)

On trouve ici à l'?uvre l'importante distinction lockienne, dont nous avons déjà parlé, entre l'idée, objet immédiat de l'esprit lorsqu'il pense, et la qualité de l'objet responsable de l'existence de cette idée. Les idées comprises de cette manière sont toujours quelque chose de positif, quoique la qualité de l'objet puisse être une simple privation. Que le noir soit dans l'objet l'absence de réfraction de la lumière ne conduit pas à dire que l'idée du noir n'est qu'une privation. Locke distingue la question de la réalité des idées du problème de la représentation fidèle de leur cause dans l'objet matériel.

L'esprit reçoit les idées simples de manière entièrement passive (II.1.25): je ne peux me donner une idée simple. En revanche, les idées complexes peuvent être librement créées par l'esprit, et ceci a une importance fondamentale pour toute la théorie lockienne. Ces idées complexes peuvent être des idées de modes, simples ou complexes, des idées de substances ou encore de relations. La suite du Livre II est en grande partie une application de ce schéma à de multiples domaines o? nous possédons des idées qui ne semblent, à première vue, ne pas pouvoir se comprendre en terme d'idées dérivées des sens ou de la réflexion. Telle est l'idée d'infinité, chère aux Cartésiens, ou encore les idées morales, telles celles du bien et du mal, fondées sur les idées simples de plaisir et de douleur qui accompagnent un grand nombre de nos idées. Les idées complexes trouvent donc leur origine dans l'activité de l'esprit qui s'exerce librement sur les idées simples qui lui sont fournies par les sens, pour les combiner, les comparer, les étendre? Les idées simples jouent pour Locke le rôle d'une contrainte sur la pensée : dans la mesure o? je ne possède pas d'idées correspondant aux mots que j'emploie, mes mots sont vides de sens, je parle pour ne rien dire.

Le problème de la complexité

La faculté de l'esprit qui permet de considérer une idée simple est sa capacité à distinguer les unes des autres, au sein de la multiplicité d'idées fournies par la perception, les idées simples. On peut ici se reporter au chapitre 11 :

« Il ne suffit pas que l'esprit ait une perception confuse de quelque chose en général. S'il n'avait pas, outre cela, une perception distincte de divers objets et de leurs différentes qualités, il ne serait capable que d'une très petite connaissance, quant bien les corps qui nous affectent, seraient aussi actifs autour de nous qu'ils le sont présentement ; et quoique l'esprit fût continuellement occupé à penser. » II.11.1

Si l'esprit n'est pas à même de distinguer diverses idées au sein de ce que la perception lui fournit, nos activités cognitives seraient radicalement diminuées.

Pour comparer des idées entre elles, il faut en un sens distinguer celle-ci des autres, afin de saisir ce qui fait leur similitude ou leur différence? On est ici au fondement, par exemple, de la possibilité d'abstraction, puisqu'avant de pouvoir comparer la blancheur de cette craie avec celle de cette feuille, il faut que je puisse dégager cette idée simple de blancheur particulière de tout ce qui m'est également donné dans le même temps par la perception. C'est également cette faculté qui permet de comprendre comment les principes particuliers sont atteints avant les principes généraux : pour affirmer que le rouge n'est pas le vert, il suffit que je possède ces idées, que je dégage des autres qui me sont fournies dans la perception, alors que les principes généraux dépendent d'idées abstraites qu'il est plus difficile d'acquérir.

Il y a une difficulté importante, dont il me semble que peu de commentateurs discutent de manière détaillée, c'est celle qui consiste à comprendre la relation entre les idées fournies par la perception et les idées complexes. Après tout, il est assez absurde d'affirmer que la perception donne uniquement des idées simples, une à une si vous voulez. Comme je l'ai noté plus haut, il y a de nombreuses idées que l'esprit reçoit en même temps lorsqu'il perçoit. Quelle est alors la différence entre ceci et les idées complexes qui semblent différentes ? Je crois que la différence fondamentale consiste en ce que la perception fournit des complexes d'idées simples, alors que les idées complexes dépendent d'une activité de l'esprit percevant. Un indice est donné par Locke lorsqu'il discute du cas des animaux, un passage qu'on lit normalement sans y prêter l'attention requise :

« Je suppose encore, que dans ce point les bêtes sont inférieures aux hommes. Car quoiqu'elles reçoivent et retiennent ensemble plusieurs combinaisons d'idées simples, comme lorsqu'un chien regarde son maître, dont la figure, l'odeur, et la voix forment peut-être une idée complexe dans le chien, ou sont, pour mieux dire, plusieurs marques distinctes auxquelles il le reconnaît, cependant je ne crois pas que jamais les bêtes assemblent d'elles-mêmes ces idées pour en faire des idées complexes. » II.11.7

Il y a ici une certaine difficulté à interpréter Locke : veut-il dire que les idées possédées par le chien ne sont pas complexes dans la mesure o? elles ne sont jamais associées spontanément par son esprit ? Pourtant, certaines indications de Locke semblent indiquer que certaines idées complexes regroupent des idées données ensemble au sein de la perception. Après tout, il est vraisemblable de dire que mon idée de chien ne regroupe que des idées que j'ai rencontrées ensemble lorsque j'ai perçu des chiens. La seule différence est que j'ai abstrait certaines de ces idées pour ne garder que ce qui était commun à ces divers épisodes de perception. Quelle est alors la différence entre ce que fournit la perception et les idées complexes ?

« Comme on peut observer que les idées simples existent en différentes combinaisons, l'esprit a la puissance de considérer comme une seule idée plusieurs de ces idées jointes ensemble ; et cela non seulement selon qu'elles sont unies dans les objets extérieurs, mais selon qu'il les a jointes lui-même. » II.12.1

Le critère de la complexité des idées est en un sens plus subtil que nous ne le supposions, dans la mesure o? il ne dépend pas de la simple présence de plusieurs idées à l'esprit, comme c'est le cas dans la perception, mais en un certain sens d'un acte de l'esprit qui conçoit comme unité la multiplicité des idées en question. Dans cette mesure, les idées de substance forgées par l'esprit et celles construites sur la base de la perception sont similaires en ce qu'elles impliquent une telle considération. Je laisse ici de côté la complexité de l'idée lockienne de substance pour me concentrer sur ce qui est affirmé dans les passages en question. Les choses sont d'ailleurs identiques dans le cas de certains modes. Le chien est (peut-être) différent de l'homme en ce qu'il est incapable de concevoir comme une unité les diverses idées simples qui lui sont fournies par les sens. Il demeure au niveau d'une multiplicité d'indices dispersés, que rien ne réunit entre eux. Dans cette mesure, il lui est impossible d'opérer des comparaisons, qui présupposent une idée simple des choses qu'il s'agit de comparer et donc leur séparation d'avec toutes les autres, ni d'abstraire puisqu'une telle capacité est ici également supposée.

Il reste donc vrai que les sens nous fournissent des idées simples, que celles-ci ont leur origine soit dans la sensation, soit dans la réflexion, et que les idées complexes dépendent d'un exercice de l'esprit, qui n'est plus alors purement passif.




L'abstraction

L'abstraction, un acte mental qui consiste à soustraire des circonstances particulières de qqch pour arriver à une idée générale, est d'un de deux types qui se distinguent en ce qu'ils prennent comme la chose dont on soustrait des circonstances particulières.

L'abstraction du premier type part des choses-mêmes, p.ex. de différentes instances concrètes d'une qualité (ce qu'on appelle les "tropes" o? des "concrete particulars"). Remarquant que les différentes instances de blancheur (la blancheur de ce litre de lait, cette blancheur-là maintenant, la blancheur de cette feuille de papier etc.) ont quelque chose en commun, en y cherche la partie commune et arrive à la blancheur en général.

L'abstraction du deuxième type commence p.ex. par les différentes idées qu'on a des individus d'une espèce. Prenons les différentes idées que j'ai d'hommes, c'est-à-dire de Pierre, Wilhelm, Giacomo etc. On enlevant les particuliarités de ces différentes idées et en selectionnant les marques communes à elles, j'arrive à l'idée générale d'un homme.

Toutes les deux types d'abstraction doivent s'appliquer à des idée complexes. La différence entre eux consiste en ce qu'on en fabrique, par une abstraction du premier type, toujours une idée simple, bien qu'on peut arriver, dans le deuxième cas, ou bien à une idée simple ou bien à une idée complexe.

La critique de Berkeley (début des Principles of Human Knowledge):

La théorie de l'abstraction est le fondement du scepticisme et de l'athéisme et inconsistante. Il apporte deux arguments pour soutenir le deuxième point:

1) Il est impossible de former des idées abstraites. Il cite IV, vii, 9:

"For example, Does it not require some pains and skill to form the general Idea of a Triangle (which is yet none of th emost abstract, comprehensive, and difficult,) for it must be neither Oblique, nor Rectangle, neither Equilateral, Equicrural, nor Scalenon; but all and none of these at once. In effect, it is something imperfect, that cannot exist; an Idea wherein some parts of several different and inconsistent Ideas are put together." (Nidditch edition: p. 596)

Berkeley remarque alors que ce n'est pas seulement difficile mais impossible de former une telle idée contradictoire. Une telle idée est contradictoire, parce qu'elle exemplifie le phénomène suivant. Prenons une famille de propriété, regroupé sous une propriété de deuxième ordre, comme par exemple les propriétés de couleurs, rouge, bleu, vert etc., et la propriété d'être coloré. Nous appelons donc cette dernière propriété une propriété déterminable, lorsque tout qui l'exemplifie doit exemplifier aussi une propriété du premier groupe. Tout ce qui est coloré est tel qu'il est ou bien vert ou bien rouge ou bien bleu etc.; toute chose colorée doit exemplifier une des propriétés qu'on appelle détérminées par rapport à la déterminable propriété d'être coloré. Le point de Berkeley est maintenant que les propriétés particulières d'un triangle peuvent être regroupées comme une telle famille de propriétés détérminé. Par ex., toute triangle est défini par la grandeur d'un de ses angles et la longeur d'une de ses côtés. Tout triangle à une telle grandeur et longeur. Le triangle abstrait de Locke, cependant, n'a pas de telle longeur et grandeur et n'est donc pas un triangle. Mais c'est un triangle abstrait et il a donc une longeur et grandeur. Alors c'est une idée contradictoire.

Le problème de cette objection est qu'elle se base sur un seul passage isolé qui n'a pas de répercussions ailleurs dans l'oeuvre de Locke. C'est bien alors qu'on trouve un deuxième argument chez Berkeley.

2) L'abstraction ne nous permet pas de briser les connections nécéssaires.

Pour qu'il soit possible de s'imaginer quelque chose qui n'est pas blanc, il faut qui existent des choses non-blanches. Pour mentalement soustraire quelque chose a de quelque chose b, il doit être possible que a existe sans b. Mais rien ne peut exister séparé de toutes autres choses; p.ex., rien ne peut exister de blanc sans qu'il soit étendu. Alors la blancheur ne peut pas exister sans l'extension. Alors il n'y a pas d'idée abstraite de blancheur. Il y deux problèmes avec cet argument:

La notion d'abstraction comme acte de considérer quelque chose à part est ambigue. Considérer x à part de y peut vouloir dire considérer x sans considérer y, ce qui n'est pas problématique. D'autre part, cela pourrait vouloir dire considérer quelque chose qui est x mais pas y (dans ce dernier cas, on penserait soi-disant à l'absence de y). L'argument de Berkeley dépend de la deuxième version, mais les théoreticiens de l'abstraction (en particulier les auteurs de la logique de Port Royal) la comprennent selon la première. L'autre problème est que l'argument dépend d'une prémisse générale douteuse, qui est que tout ce qui est impossible est inconcevable, ou que concevabilité est une condition suffisante pour possibilité. Ce principe est selon Hume un "establish'd principle of metaphysics", mais apparaît quand même très questionable. Il semble qu'on peut même peindre des choses impossibles et dans les reductiones ad absurdum on suppose des choses impossibles justement pour montrer qu'ils sont impossibles.

Même si la critique de Berkeley ne marche donc pas, cela ne veut pas dire que la théorie de Locke est correcte. Il semble, par exemple, que notre idée abstraite d'homme ne contient pas toutes les marques qui se trouvent dans l'intersection de toutes les idées qu'on a des hommes, p.ex. l'idée de peser moins de 1000 kilogrammes. En plus, il semble parfaitement possible même dans le cas o? tous les hommes qu'on n'a jamais vu avaient une propriété accidentielle F, de former une idée d'homme qui ne contient pas F.

Les essences réelles

Substance n'est pas identique à essence II.23.3. Ceci va à l'encontre de ce qu'affirment de nombreux commentateurs qui admettent qu'il n'y a là que deux noms pour la même chose.

III.3.17 : les deux théories de l'essence. Dans ce passage, Locke distingue une théorie néo-aristotélicienne de la substance et une théorie de type corpusculaire qu'il juge plus raisonnable et admet lui-même. Cependant, cette essence n'est que l'essence individuelle. III.6.4 : rien n'est essentiel à l'individu, ou tout l'est : les deux formulations sont identiques en ce qu'elles refusent de différencier au sein du corps des propriétés de statuts différents. La constitution particulière de ce corps ne permet pas de distinguer ce qui lui est essentiel de ce qui ne l'est pas ; la distinction entre propriété et accident est en effet relative à une essence nominale. C'est, en résumé, ce qui dans le corps explique ce qui a été sélectionné au sein de l'idée abstraite. L'essence réelle de l'homme, c'est ce qui explique la rationnalité et l'animalité, si l'on admet que l'essence nominale affirme que l'homme est un animal rationnel. Mais ces propriétés n'ont ce statut que dans la mesure o? elles sont examinées à la lumière de notre activité de création d'une idée abstraite.

Lorsqu'elle est nominale, l'essence est une idée abstraite. Cependant, le choix de l'essence nominale peut être fait de bonne ou de mauvaise manière //idées distinctes II.29.4. De plus, il faut tenir compte de la ressemblance sur laquelle l'esprit se base pour former ses idées abstraites. Ceci a une grande importance pour comprendre la base objective de la création de ces essences.

Dans le cas des idées simples et des idées de modes, Locke dit qu'une seule et même chose permet à la chose d'être appelée de cette manière et d'être telle ou telle, alors que cela n'est pas le cas pour les substances. Cependant, cette affirmation est incompatible avec sa propre distinction entre qualités premières et secondes. Ce que c'est pour un corps que d'être rouge (posséder telle ou telle configuration de parties qui fonde une disposition) n'est pas ce sur la base de quoi je juge qu'il l'est (une sensation de rougeur, par exemple).

Une essence réelle devrait donner la possibilité de déduction de propriétés. (II.31.6, p.302). La constitution particulière de ce corps, si elle m'était connue, devrait me permettre de déduire toutes les propriétés que le corps possède. Par exemple, comprendre ce qu'est, dans le corps, la capacité d'endommager mon foie, me permettrait de comprendre, selon des interactions mécaniques, comment cette action en résulte.

III.6.6 est la partie la plus difficile à interpréter.

Les qualités premières et secondes

Qualités premières et secondes: la distinction chez Locke

La distinction entre les qualités premières et secondes est basée sur le corpuscularisme, affirmant que la matière est composée de micro-structures dont les éléments sont appelés « corpuscules ». En gros, c'est la distinction des propriétés dépendantes et indépendantes de nous. Locke dit les choses suivantes des qualités secondaires:

  • (1) Elles sont des dispositions à causer un état sensoriel charactéristique (II 23 9, II 31 2).
  • (2) Elles ne se trouvent pas dans les objets extérieurs (II 31 2).
  • (3) Elles ne sont pas intrinsèques mais relationelles (II 23 37).
  • (4) Elles sont dans l'esprit; elles n'existaient pas s'il n'y avait pas d'esprit (II 8 17).
  • (5)Les idées qu'on a d'elles ne resemblent à rien dans le monde physique.

(1) est le critère le plus important:

« Secondary qualities [are] qualities which in truth are nothing in the objects themselves but powers to produce various sensations in us by their primary qualities. » (II 8 10)

(2) est le plus charitablement interprété comme ne disant pas plus que les qualités secondes ne sont pas dans les corps de la même manière que les qualités premières. Puisqu'elles sont des dispositions, elles sont dans les corps après tout.

Il ne s'ensuit pas de (4) que les qualités secondes sont des idées. Il paraît même faux de parler d'une dépendence existentielle, parce qu'il n'est pas essentiel pour les dispositions de se réaliser: être soluble dans du thé est une propriété dispositionelle d'un morceau de sucre même dans les circonstances o? il n'y a pas de thé (cf. Bennett 2001: 83).

C'est un lieu commun de dire qu'il existe des idées premières et secondes. Ceci est faux, mais il y a une vérité cachée. II.8.9-22 explique le statut de cette discussion pour Locke. Il s'agit d'une recherche physique, qui rompt en quelque sorte la ligne centrale de l'argumentation. Coste, le traducteur, souligne l'existence de sources françaises pour ce passage, mais Locke est beaucoup plus influencé par l'ouvrage de son ami Boyle, On the Origins of Forms and Qualities, qui expose la théorie physico-chimique de son auteur.

La distinction qui nous occupe est faite entre des qualités (II.8.8-9). Les idées correspondantes sont simples, même si cela entraîne quelques difficultés. De plus, cette distinction existe entre des qualités simples qui sont dans les corps.

II.23.16-18 propose un parallèle avec l'esprit, puisque ce passage semble étendre cette distinction. II.21.73 est aussi pertinent, puisque Locke parle d'idées primitives et originales, qu'il faut comprendre comme idées premières. Les deux qualités premières de l'esprit sont alors la perceptivité et la motivité, plus celles qui nous sont données par les deux sources. Ceci constituant une liste des qualités premières, Locke tend donc à étendre sa distinction au domaine de l'esprit.

Il existe en fait trois types de qualités, voir II.8.23

Berkeley a en outre critiqué cette distinction lockienne, arguant que les qualités secondes sont des idées.

Quelques spécificités des qualités premières:

Elles sont inséparables des corps et il est inconcevable qu'ils ne les possèdent pas. Ce sont des qualités essentielles, comme l'étendue, la solidité, la figure et la mobilité (II.8.9). Un autre passage parle de la grosseur, de la contexture et du mouvement des parties insensibles (II.8.10). Locke y ajoute parfois la position ou situation et, en II.21.73, intègre également l'existence et la durée. Il existe ici quelques points obscurs. Dans la catégorie sont rangées des relations, comme la situation ou le mouvement, alors que selon Locke ces dernières ne sont pas des idées simples. Il est alors impossible qu'il n'y ait qu'un seul corps dans le monde, puisqu'il en faut plusieurs pour fonder les relations en question.

Quelques difficultés:

La figure est mentionnée parmi les qualités premières, cependant il ne fait pas partie de notre idée du corps qu'il possède une figure particulière. C'est plutôt la propriété générale qui fait partie de cette conception. Cependant, Locke et Boyle souhaitent inclure les propriétés particulières parmi les qualités premières. Peut-être faut-il ici penser à la classe des qualités : la propriété générale est première si et seulement si chaque corps doit la posséder, les propriétés particulières étant premières par procuration (être sphérique est un cas particulier d'une propriété générale telle que chaque corps doit posséder une qualité de ce groupe).

Le mouvement/vitesse. Il ne semble pas nécessaire que chaque corps bouge. On peut alors inclure le repos comme vitesse nulle pour éviter cette objection.

Corps sans couleur : une vitre, l'air. Pourquoi ne pas opter pour la même stratégie que dans le cas de la vitesse, et inclure alors la non-couleur aux couleurs ? Locke ne le souhaite pas, et ne propose pas de réponse dans le cadre de cette discussion. Il s'attelle à une tâche physique : séparer ce qui est fondamental pour la science de ce qui ne l'est pas. Il y a ici un parallèle parfait entre ce qui nous semble appartenir à n'importe quel corps et ce que la science doit traiter. Les qualités essentielles sont quelque chose de plus que des simples puissances (contrairement aux qualités secondes, voir plus bas), sont les objets propres de la recherche scientifique et quantifiables.

Le critère des qualités secondes n'est pas parallèle à ce que Locke a proposé pour les premières. Ce n'est pas qu'elles sont détachables, c'est qu'elles ne sont que des puissances de produire tel ou tel type de sensations en nous (II.8.10).

Il existe un débat parmi les interprètes de Locke sur la nature de la distinction entre qualités premières et secondes et en particulier sur la question s'il est sensible de parler d'une distinction de degrès entre des qualités premières et secondes. Bennett a defendu la thèse qu'on peut dire qu'une qualité est plus ou moins seconde, c'est-à-dire que plus ou moins de ses effets causales sont achevés à travers la sensation sensorielle qu'elle produit (2001: 81).

Qualités secondes comme qualités survenantes

Les propriétés biologiques des organismes sont des propriétés que ces organismes ont en vertu de leur constitution physique. Pour toute propriété biologique, il y a une propriété physique qui est telle que tout organisme qui a la propriété biologique, l'a grâce à une propriété physique. La notion de survenance nous permet décrire cet état-de-choses. On dira alors:

les propriétés biologiques surviennent sur les propriétés physiques
<-->
pour tout changement d'une entité x par rapport à une propriété biologique, il y a un changement de x par rapport à une propriété physique

Cette notion de survenance est globale: elle décrit une relation entre deux classes ou familles de propriétés, disant que toute distinction qui peut être faite à l'aide de la première, peut, en principe, aussi être faite par la première.

Utilisant cette notion, on pourrait dire que, selon Locke, les qualités secondes surviennent sur les qualités premières.

Qualités secondes comme épiphénomènes

L'ordre causal du monde en fait un réseau organisé et lie les propriétés à leur causes et effets possibles. On peut appeler un événement, une chose ou une propriété un épiphénomène si ce lien à l'ordre causal est mono-directionel. Un éphiphénomène est donc quelque chose (une chose, un événement ou une propriété) qui est causé par quelque chose d'autre, mais qui n'a pas d'effets. C'est une impasse de la causalité.

« Response-dependence » Sur le problème général, cf. Dans larticle de Mark Johnston, 1998, « Are Manifest Qualities Response-Dependent ? » (Monist 81, pp. 3-43).

Les différentes distinctions entre qualités premières et secondes

1. L'idée intuitive

Quelques caractéristiques des choses sont moins objectives ou réeles que d'autres. Pour décrire le monde complètement et tel qu'il est en soi, il n'est pas nécessaire de nommer toutes les caractéristiques des choses: il suffit d'en nommer un sous-ensemble dont les autres dépendent d'une manière ou d'une autre.

2. Différences d'extension

  • Faut-il inclure toutes les charactéristiques relationelles ou extrinsèques? (ou faut-il plutôt, comme Locke, faire une distinction tripartite?)
  • Peut-on inclure des caractéristiques intrinsèques?
  • Faut-il inclure toutes les qualités sensibles (couleur, odeur, texture, forme, goût)?
  • Peut-on inclure, comme Hume, des caractéristiques évaluatives ou morales?

3. Différences d'intension

3a Le projectivisme (Galilei)

Seuls les caractéristiques premières des choses sont réelles. Pensants qu'il y a des couleurs, par exemple, nous faisons une erreur projectiviste (cf. Descartes, Principes I §66): nous prenons une caractéristique de notre réponse à des stimuli pour une caractéristique des stimuli eux-mêmes. Problème: « How can we be justified in taking any of this inner activity as an adequate representation of an outer reality? » (Johnston 1998: 6)

3b Le dispositionalisme (Locke)

Aussi les caractéristiques secondes sont réelles, mais elles ne sont pas telles que nous les concevons. En particulier, elles ne sont pas indépendentes de nos réponses (elles sont « response-dependent »), mais plutôt identiques à des dispositions de produire en nous dans certaines circonstances telles-et-telles expériences sensibles . On peut essayer de captiver ce trait de différentes manières.

Bennett a proposé le critère suivant qui, selon lui, est vrai de toutes les qualités secondes Q mais de n'aucune qualité primaire Q:

« There is a kind K of idea or sensory state such that for an object to have Q is for it to be disposed to cause K states in normal percipients in standard circumstances. » (2001: 78)

Johnston en a proposé un autre, qui est plus restraint (et impose en conséquent des conditions plus sévères aux qualités dites secondes):

« ... a property, Being F, is response-dependent if there is some predicate « is f » which expresses the property (i.e. whose extension across possible worlds is just the things which have the property) such that some substantial way of filling out 'R', 'S' and 'C' makes
x is f if and only if x is disposed to produce x-directed response R in all actual and possible subjects S under conditions C
a priori and necessary. » (1998: 9)

En prenant l'example de la couleur rouge, on obtient dans le cas de Bennett l'explication suivante du fait que rouge est une qualité seconde:

Il y a une idée de rougeur y qui est tel que x est rouge si et seulement x a la disposition de causer y en des observateurs normaux dans des circonstances normales.

Dans le cas de Johnston, on aurait comme réponse:

Il est nécessaire et a priori que x est rouge si et seulement si x a la disposition de paraître rouge à des observateurs normaux dans des circonstances normales.


La substance

La notion de substance a une longue tradition, au début de laquelle on trouve les deux définitions d'Aristote. Dans les Catégories, Aristote définie les substances (individuelles et premières) comme ce qui n'est pas dans quelque chose d'autre ni prédiqué de quelque chose d'autre. Dans le livre Z de la Métaphysique, il donne une autre définition qui est difficile à comprendre.

Locke approche le sujet de sa théorie des idées. Sa question initiale n'est pas, comme elle l'était pour Descartes ou Spinoza, qu'est-ce qui existe / quelles sont les catégories ontologique fondamentales?, mais plutôt: comment expliquer des régularités dans les occurrences des idées / qu'est-ce qui fait qu'on considère quelques combinaisons d'idées comme des idées qui représentent des qualités d'une seule chose?

En II, xii, 6 Locke décrit les idées complexes qui sont des idées de substances individuelles comme « such combinations of simple Ideas, as are taken to represent distinct particular things subsisting by themselves; in which the supposed, or confused Idea of Substance, such as it is, is always the first and chief ». En II, xxiii, 2 il décrit la « notion of pure Substance in general » comme l'idée que nous ajoutons à un complexe d'idées qui sont régulièrement réunis ensemble, en supposant que la cause de cette coordination d'idées des accidents est la subsistence de ces accidents dans un substrat. Il critique que cette notion d'une pure substance n'est ni claire ni distincte. Ajoutant cette idée générale d'un substrat quelconque à des différentes combinaisons d'idées simples nous formons les idées des substances individuelles:

« Whatever therefore be the secret and abstract Nature of Substance in general, all the Ideas we have of particular distinct sorts of Substances, are nothing but several Combinations of simple Ideas, coexisting in such, though unknown, Cause of their Union, as makes the whole subsist of itself. » (II, xxiii, 6).
« ... our specifick Ideas of Substances are nothing else but a Collection of a certain number of simple Ideas, considered as united in one thing. » (II, xxiii, 14)

Locke semble avoir pensé - au moins selon l'interprétation de Bennett - que cette notion pure de substance est implicite dans notre manière de penser des choses ordinaires, tout en étant critiquable pour son inclarité et confusion (cf. la collection de passages citées dans Bennett (2001: 112).

Il y a deux différentes théories de la substance qu'il faut distinguer de celle de Locke: la « bundle theory » et la théorie « sense-data » de la substance.

1. Selon la première, le substrat, qui soutient et unie les différentes qualités d'une chose et dont l'idée Locke considère confus et indistincte, est éliminé: il n'y a pas de fondements ontologique qui, dénoué soi-même de toutes qualités, supporte les qualités et les tient ensemble. Il n'y a, à proprement parler, pas de choses, mais que des assemblages et de combinaisons de qualités. Les choses ne sont que des faisceaux de qualités.

2. La deuxième théorie est sensualiste et conçoit la substance uniquement en tant que source d'idées et, en particulier, des sensations. On serait donc tenté d'en faire une sorte de construction d'idées, comme Carnap l'a essayé dans Der logische Aufbau der Welt. Il y a quelques citations qui semblent suggérer une telle théorie, p.ex. « these Potentialities amongst the simple Ideas, which we recollect in our Minds, when we think of particular Substances » (II, xxiii, 7), mais cette impression est trompeuse: Locke reconnaît que les essences des substances nous sommes inconnues et qu'elles peuvent contenir des qualités jamais perçues et mêmes imperceptibles.

Il y a en gros trois intérpretations de ce que Locke dit sur la substance.

Selon la première, qui est celle de Berkeley, la substance de Locke est un « bare particular », dépourvu de toute qualité et soutenant les qualités qu'on attribue à une chose. Berkeley et Hume consideraient une telle notion incohérente et le dernier a donc adopté une « bundle theory »

Selon la deuxième, défendue par Ayers, la notion de substance sert à Locke de parler des essences.

Selon la troisième, qui a une certaine ressemblance à la position défendu par David Armstrong dans A World of States of Affairs, une substance est ce que tous les états de choses de la forme a étant F. Une telle interprétation pourrait expliquer le rôle de la "notion pure de la substance en générale" S dans une idée d'une substance particulière { I_1, ... I_n, S } comme représentant quelque chose dont la nature nous est inconnue, mais qui est quand même plus générale que l'essence de la chose, une potentialité d'avoir des qualités (premières et secondes).

Commentaires sur quelques passages:

II.12.6 : substances singulières et collectives, ainsi que le critère de l'existence par soi, séparée. Ceci est une terminologie traditionnelle, aristotélicienne.

Mais l'existence de la substance suppose celle de ses parties, et les parties ne sont pas identiques au tout. Cela ne conduirait à ne considérer que les atomes comme des substances. Ce n'est pas la position de Locke, que signifie alors le critère de l'existence séparée ?

II.12.4 : Idées de substances vs idées de modes. Les modes sont conçus comme des dépendances des substances, comme des affections de celles-ci. Par exemple, exister, pour la gratitude, signifie être attribuée à quelque chose d'autre. La blancheur dépend également de la surface d'un objet. Le mode dépend de la substance, ce qui n'est pas le cas pour la substance.

Comprendre ce que veut dire 'la blancheur existe' : comprendre ce que c'est pour des choses d'être blanches.

Par contre, comprendre ce que veut dire 'un mouton existe' ne se réduit pas à comprendre ce qu'est une chose ovine.

1) La/le/les F existe(nt)
2) Il y a des choses qui sont f

Si 2) donne le sens de 1), alors on n'a pas affaire à une substance.

Quelle est la relation entre substance pure et substances particulières ? II.23.14 : les qualités et puissances sont unies dans un commun sujet. II.23.3 ajoute que nous avons une « idée confuse de ce à quoi elles appartiennent », et II.23.1 indique que l'on a affaire à une supposition. Cette idée du sujet est l'idée de la substance pure. X est une idée de substance particulière si X contient l'idée de la substance pure

Il ne s'agit pas d'un ensemble de qualités, mais d'une chose, et l'idée de la substance pure répond à cette 'chose'. Cette manière d'introduire la substance pose problème, puisque l'idée de substance est toujours différente de toutes les qualités, et que nous ne savons pas ce que c'est (fin II.23.3) Voir aussi la fin de 23.4 o? Locke parle du soutien et affirme que nous n'avons aucune idée claire de celui-ci.

Certains commentateurs ont considéré ces passages comme absurdes, voire ironiques. Certains philosophes ont, il est vrai, aboli la substance, comme Berkeley ou Hume. Au §17 des Principes, Berkeley affirme par exemple que le mot 'substance' n'a aucun sens.

Une idée collective de substances est une idée de substance composée d'autres substances. L'idée d'un troupeau est-elle constituée des idées des moutons M1, M2, ..., Mn et de l'idée de la substance pure ? Ce dernier élément semble ici inutile. Pourquoi ne pas étendre ce point aux substances particulières ? Locke dit qu'il faut considérer ensemble un certain nombre d'idées et cette conception semble très proche de celle de Berkeley, lorsqu'il affirme qu'il faut mettre ensemble des idées de qualités particulières pour penser à une chose particulière.

Mais le troupeau ne dépend pas de ma considération pour exister. Toute collection de qualités pensées ensembles ne constitue par ailleurs pas un objet particulier. Il y a des groupes naturels de qualités, qui frappent les sens simultanément et il n'est alors pas nécessaire d'ajouter une idée du sujet à la liste. Il y a troupeau si ces moutons 'fonctionnent' ensemble, il y a cygne si ces qualités 'fonctionnent ensemble'. Il est inutile d'ajouter quelque chose d'extérieur aux idées de ces qualités. Ceci n'est cependant pas la position de Locke, mais celle de Berkeley.

Locke se défend contre ces amalgames dans la correspondance avec Stillingfleet et propose un examen génétique de l'idée de substance. Nous commençons avec les idées des qualités ; nous percevons ensuite que le rouge est une affection, qu'il dépend de quelque chose ; nous remarquons ensuite que la dépendance est une relation pour enfin affirmer qu'il y a quelque chose dont le rouge dépend. Cette dernière étape explique la conception de la substance.

Dans la première lettre à Stillingfleet, Locke explique comment nous nous formons l'idée d'une substance (individuelle): nous percevons quelques qualités, que nous ne pouvons pas concevoir sans support, alors nous y ajoutons l'idée d'un support (l'idée de substance pure). C'est idée est relationnelle: c'est l'idée d'un support des qualités par quelque chose. Cette quelque chose est le substratum. Il est à remarquer que cette idée de substance pure est presque vide: Il n'est vrai d'aucune couleur ou de aucun poids que c'est la couleur ou le poids de la substance, même si toute substance (matérielle au moins) a une couleur et un poids. Il faut alors se poser trois questions:

  • est-il vrai que les qualités ont besoin de quelque chose pour s'attacher? A première vue, il semble avoir des couleurs (p.ex.) qui ne sont pas des couleurs de quelque chose, p.ex. le bleu du ciel ou des images consécutives.
  • Qu'est-ce que cela veut dire qu'être attaché à une substance? Probablement, il faut le comprendre en un sens aristotélicien: dire que le F (le bleu p.ex.) existe c'est dire qu'il y a quelque chose qui est F (bleu), o? la deuxième formule donne le sens de la première (et non pas, comme Platon le voulait, la première le sens de la deuxième).
  • Quelle est la raison d'être de la substance? Si Locke dit que l'idée d'un mouton (qui peut varier entre des personnes et avec le temps) est composé de différentes idées simples I1, I2, ... et de l'idée de la substance pure, il veut dire que il est vrai que x est un mouton ssi x est une chose qui est I1, I2, ... L'idée de la substance pure correspond à cette locution "est une chose qui". Le problème avec cette explication est que la locution en question est redondante: "être une chose qui est F" et "être un F" sont synonymes. Il paraît donc préférable de donner, avec Berkeley et Hume, la réponse banale à la question "qu'est-ce qui soutient les qualités qui sont les qualités de ce mouton?" qui est: "le mouton".


L'identité (et l'identité personelle)

Le ch. 27 du livre II ne se trouve pas dans la première édition et a été écrit comme réponse à des question de William Molyneux. En I, iii, 4-5, Locke dit que l'idée d'identité est complexe et ne peut pas être attribué à tout le monde (et n'est donc pas innée).

Pour ne pas lui octroyer une perspective trop contemporaine, il faut se rappeler que pour Locke (i) l'identité personnelle (sous quelles conditions, x est-il la même personne que y?) n'était qu'un cas spécial du problème générale de savoir sous quelles conditions x est le même F que y (pour n'importe quelle espèce F) et (ii) que le problème de l'identité à travers le temps était pour lui avant tout un problème religieux (d'expliquer comment je peut être la même personne (ayant même le même corps) avant et après mon résurrection).

L'idée centrale de Locke c'est que l'idée de l'identité de quelque chose dépend de l'idée qu'on applique à cette chose, c'est-à-dire que "x est le même F que y" et "x est le même G que y" expriment différentes choses en fonction de la différence entre F et G. Faisant une analogie avec "grand" (qui joue différentes rôles dans "x est un grand éléphant" et "x est un grand souris"), Locke ne maintient cependant pas que "même" dans "être le même que" est ambigu.

Leibniz a proposé d'analyser "x est le même F que y" comme "x et y sont Fs et x est le même que y", réduisant l'identité dite sortale (x est le même F que y) à l'identité pure (x est le même que y). Leibniz a formulé ce qu'on appelle la "loi de Leibniz" dans la logique contemporaine:

Des choses identiques partagent toutes les propriétés. x = y -> pour tout F (Fx <-> Fy)

un principe qui était beaucoup discuté à l'époque et qui semble exclure tout changement (si quelque chose change, elle a plus ou moins de propriétés après le changement qu'avant: elle n'est alors plus, selon la conversion de la loi de Leibniz (s'il y a une propriété F telle que Fx mais non pas Fy, alors x n'est pas identique à y) la même chose qu'avant le changement).

Leibniz combinait la loi de Leibniz avec le principe suivant, appelé "identité des indiscernables", controversée depuis l'antiquité, mais qui, selon Leibniz obtient grâce à la bonne volonté de Dieu de nous rendre capable de discerner tout ce qui n'est pas identique.

Des choses indiscernables sont identiques. pour tout F (Fx <-> Fy) -> x= y

La loi de Leibniz (aussi appelé "l'indiscernabilité des identiques") et le principe de l'identité des indiscernables valident ce qu'on appelle la définition leibnizienne de l'identité:

L'identité c'est l'indiscernabilité x = y def. <-> pour tout F (Fx <-> Fy)

Le même F vs Leibniz et sa conception absolue de l'identité. La conception 'relativiste' de Locke fait partie du langage ordinaire. Des problèmes se posent si l'on a pas une idée claire de ce à quoi on attribue l'identité. (fin §3)

Leibniz : les corps organisés ne sont les mêmes qu'en apparence. Appel au navire de Thésée. Les trois cas possibles de remplacement.

Locke demande qu'on pose la question : est-ce le même F ? Masse de bois ou table. Il faut pour cela déterminer les critères d'identité. Il demeure cependant un problème lorsque les parties retirées sont réassemblées et qu'on se retrouve avec deux tables.

Critères. La discussion du début fait le lien entre identité et lieu et temps.

  • (A) Un objet de la même espèce ne peut pas être en deux endroits au même moment
  • (B) Deux objets de la même espèce ne peuvent pas être en un endroit au même moment

Par conséquent, la naissance de chaque objet est unique, voici le critère de l'identité lockien, mais il semble difficile à satisfaire.

Leibniz refuse ceci pour plusieurs raisons :

Locke pense aux choses solides, mais ces principes ne sont pas vrais pour les objets abstraits, puisqu'on ne peut parler du lieu et du temps dans leur cas.

Locke suppose que la pénétration n'est pas possible. Deux exemples pour le refuser : l'ombre et le rayon de lumière. Il y a aussi un problème pour Locke qui veut parler de l'identité des âmes.

(A) et (B) sont contingents même par rapport aux solides et ne peuvent pas fonder un critère d'identité. Cela semble être exact, donc les principes sont empiriques.

Les deux principes présupposent l'identité de temps et de lieu. Or, por Leibniz, ceci doit être déterminé par l'identité des obets, et non en sens inverse.

(B) Semble par ailleurs évidemment faux. Dans cette salle, il y a vingt 'objets humains'. Il existe diverses réponses à la question : O?? A Genève, dans cette salle? Il faut ici faire appel à la version aristotélicienne : sphères concentriques d'endroits, mais il existe un endroit primaire, déterminé par la surface externe de l'objet. (B) est vrai dans ce sens d'endroit, qui n'est pas le sens courant, et n'est pas une réponse possible à la question de savoir o? x se trouve.

Locke commence sa discussion de l'identité avec l'observation que le principe suivant est communément accepté:

Pour tout x, y (si x et y existent au même temps à la même place et sont du même type, alors x=y)

Kit Fine a critiqué cette thèse (cf. son un article "A Counterexample to Locke's Thesis", Monist 83, 2000).

Il accepte la possibilité de coïncidence de deux entités différentes seulement dans les cas ou les entités concernés ne sont pas du même type, p.ex. l'un est un arbre, l'autre une masse de bois, l'un une personne, l'autre un assemblage de molecules.

Locke discute les critères d'identité à travers le temps de trois types d'entités en plus de détail. Premièrement, il propose une forme de l'essentialisme méréologique pour les quantités de matière:

« And whilst they exist united together, the Mass, consisting of the same Atoms, must be the same Mass, or the same Body, let the parts be never so differently jumbled: But if one of these Atoms are taken away, or one new one added, it is no longer the same Mass, or the same Body. » (II, xxvii, 3)

L'essentialisme méréologique par rapport à des entités d'un type F est la position selon laquelle tous les Fs ont leur parties essentiellement, c'est-à-dire ne peuvent pas perdre une de leurs parties sans cesser d'exister.

En ce qui concerne l'identité des entités vivantes (des organismes) à travers le temps, il réitère donc son criticisme du critère physiologique pour l'identité personelle qu'il a déjà refuté en II, i, 12:

« For, I suppose, no body will make Identity of persons, to consist in the Soul's being united to the very same numerical Particles of matter: For if that be necessary to Identity, 'twill be impossible, in that constant flux of the Particles of our Bodies, that any Man should be the same Person, two days, or two moments together. »( II, i, 12)

Comme critère d'individuation pour les entités vivantes, il propose la vie:

« We must therefore consider wherein an Oak differs from a Mass of Matter; and that seems to me to be in this; that the one is only the Cohesion of Particles of Matter any how united, the other such a disposition of them as constitutes the parts of an Oak; and such an Organization of those parts, as is fit to receive, and distribute nourishment, so as to contineue, and frame the Wood, Bark, and Leaves, etc. of an Oak, in which consists the vegetable Life. » (II, xxvii, 4)

Il propose donc une théorie fonctionnaliste qu'il étend au cas des artefacts: être une montre, par exemple, c'est avoir des parties organisées d'une certaine sorte, indiquer l'heure, être fabriqué avec l'intention d'indiquer l'heure etc.

Après les organismes, il tourne aux personnes. Comme le montre l'exemple du perroquet rationel, la théorie de l'identité personelle ne peut pas être entièrement fonctionnaliste: comme il est concevable qu'il a d'autres animaux rationelles à part des hommes, l'identité personelle ne peut pas être définie juste par les mêmes critères que l'identité d'un animal rationnel. Il trouve le critère décisif dans la conscience:

« For since consciousness always accompanies thinking, and 'tis that, that makes every one to be, what he calls self; and thereby distinguishes himself from all other thinking things, in this alone consists personal Identity, i.e. the sameness of a rational Being: And as far as this consciousness can be extended backwards to any past Action or Thought, so far reaches the Identity of that Person; it is the same self now it was then; and 'tis by the same self with this present one that now reflects on it, that that Action was done. » (II, xxvii, 9)

Il n'est pas entièrement clair ce que Locke veut dire par « consciousness ». Selon Bennett (2001: 327), « he says here that a person is a self-conscious item, and he describes the self-consciousness partly in terms of a person's sense of itself as a thing with a history. »

Pour bien comprendre la théorie de Locke, il faut distinguer trois niveaux d'analyse:

1. Premièrement, tout homme est un corps - les critères d'identité de ce corps sont ceux d'un animal, c'est-à-dire basés sur la continuation d'une vie.

2. Deuxièment, tout homme est une substance. Si on identifie cette substance avec le corps, on arrive également à la vie comme critère d'identité. Si on croit que les hommes sont des substances immaterielles, il faut admettre qu'une substance peut être deux personnes et une personne deux substances (II, xxvii, 13).

3. Troisièmement, tout homme a une conscience. C'est dans la continuation de cette conscience que, selon Locke, réside le critère de l'identité personelle.

Pour les critères d'identité des hommes, Locke propose une combinaison de (1) et (3): « The Body too goes to the making the Man... » (II, xxvii, 15). Il est alors possible qu'un homme est différentes personnes. (II, xxvii, 20)

Bishop Butler a fait l'objection suivante contre Locke:

« though consciousness of what is past does thus ascertain our personal identity to ourselves, yet to say it makes personal identity, or is necessary to our being the same persons, is to say that a person has not existed a single moment nor done one action but what he can remember; indeed none but what he reflects upon. And one should really think it self-evident, that consciousness of personal identity presupposes, and therefore cannot constitute, personal identity, any more than knowledge, in any other case, can constitute truth which it presupposes. » (First Dissertation tot the Analogy of Religion - cité d'après Wiggins, Sameness and Substance Renewed, 2001, p. 197).

Bibliographie

Les livres suivants sont disponibles sur le rayon "séminaire" dans la salle Naville:

  • * John Locke, Essai philosophique concernant l'Entendement humain, Trad. M. Coste, Vrin, 1989 (Réédition de la dernière version de l'Essai, traduite par le secrétaire personnel de Locke et vérifiée par l'auteur. Traduction utilisée dans les TP.)
  • John Locke, Identité et différence, Présenté et traduit par E. Balibar, Points Seuil, 1998 (Une nouvelle traduction du chapitre 27 du deuxième livre de l'Essai, avec un commentaire détaillé et un glossaire utile.)
  • John Locke, An Essay Concerning Human Understanding, ed. Peter H. Nidditch, Oxford: Clarendon, 1975
  • * George Berkeley, Principes de la Connaissance humaine, Trad. D. Berlioz, GF Flammarion, 1991 (Une traduction de bonne facture, mais sans commentaires.)
  • George Berkeley, Œuvres, sous la dir. De G. Brykman, PUF, 1992, 3 vol. (Une édition coûteuse, mais offrant des traductions inédites.)
  • * G.W. Leibniz, Nouveaux Essais sur l'entendement humain, GF Flammarion, 1990
  • Vere Chappell, The Cambridge Companion to Locke, CUP, 1994
  • Marc Parmentier, Introduction à l'Essai sur l'Entendement humain, PUF, 1999
  • Richard Glauser, Berkeley et les philosophes du XVIIe siècle, Mardaga, 1999
  • Michael Ayers, Locke: Epistemology & Ontology, London: Routledge, 1991
  • The Cambridge Companion to Locke, Cambridge: Cambridge University Press, 1994
  • Jonathan Bennett, Learning from Six Philosophers: Descartes, Spinoza, Leibniz, Locke, Berkeley, Hume - Volume 2, Oxford: Clarendon Press, 2001

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