Département de Philosophie

Faculté de lettres, Université de Genève

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"...we could revive the traditional term mode and say that the statue and the vase
were at different times modes of the piece of metal. A thing x could be called
a mere mode of a thing y provided only (i) x is necessarily such
that everything that constitutes (occupies the same place than) it at any time also constitutes
y at that time and (ii) y is not necessarily such that what constitutes it at any
time also constitutes x at that time."
(Chisholm 1973, 602)

La loi de Leibniz encore une fois

La loi de Leibniz dit que deux choses qui ne partagent pas toutes leurs propriétés ne peuvent pas être identiques:

(LL)x, yF ((Fx ∧¬Fy) → x ≠ y)

Outre les problèmes liés à l'opacité (sct. 3.2) et à la composition (sct. 3.3), (LL) est problématique pour d'autres raisons aussi. Si nous admettons des propriétés modales (tels que "est possiblement à Berne", "est nécessairement humain") et des propriétés temporelles ("était un enfant", "sera à Lausanne"), (LL) semble incompatible avec le changement. Nous devons maintenant affronter ce problème sous deux formes: par rapport au changement temporaire, i.e. la persistance d'une chose qui change de propriétés intrinsèques; et par rapport au changement 'modale', i.e. le fait qu'une chose pourrait avoir d'autres propriétés intrinsèques que celles qu'elle a de fait.

Les propriétés intrinsèques temporaires

p>David Lewis(1986a 1988)] a fait appel à (LL) pour argumenter contre l'endurantisme et en faveur de ce qu'il appelle le 'perdurantisme'. Il s'agit de deux conceptions radicalement différentes de la manière dont les objets persistent dans le temps:

  1. D'après l'endurantisme, un objet est numériquement identique à tous les instants de son existence: a à t1 = a à t2, même pour t1 ≠ t2.
  2. D'après le perdurantisme, un objet persistant est composé de parties temporelles qui ne persistent que pendant un instant: si t1 ≠ t2, alors a à t1 ≠ a à t2.

L'argument de Lewis est que l'endurantiste ne peut pas expliquer le changement intrinsèque: étant donné (LL), l'endurantiste doit nier que la même propriété est exemplifiée par a à t1 et n'est plus exemplifiée par a à t2. Récemment, Sider (2001) a ajouté l'"exdurantisme" au théories de la persistance:

  1. x endure ssi. x persiste en vertu d'être entièrement présent à différents instants.
  2. x perdure ssi. x persiste en vertu d'avoir des parties temporelles présentes à différents instants.
  3. x exdures ssi. x est un 'stade' instantané et x persiste en vertu de ses relations de contrepartie à des stages existants à différents instants.

Le problème des propriétés intrinsèques temporaires est alors le suivant:

"The problem about persistence is the problem of change, insofar as it pertains to intrinsic properties. Things somehow persist through time. When they do, they have some of their intrinsic properties temporarily. For instance shape: sometimes you sit, and then you are bent; sometimes you stand or lie, and then you are straight. How can one and the same thing have two contrary intrinsic properties? How does it help that it has them at different times?" (Lewis 2002: 1), cf. aussi (Lewis 1988: 187)
"[The] challenge is that persistence through change is inconsistent with Leibniz Law. [...] Consider any ordinary case of change. Suppose I get a haircut. It would seem that the person before the haircut, call him Longhair, has different properties from the person, Shorthair, after the haircut; one has long hair while the other has short hair. Leibniz's Law then seems to imply that Longhair and Shorthair are distinct, and thus that I do not survive the haircut, since the person after the haircut is not the same person as the person before the haircut." (Sider 2001: 5)
"The problem of change, like all metaphysical problems arises out of a conflict of intuitions. On the one hand, change requires sameness. A thing that changes must be one and the same both before and after the change, otherwise we have two things with different properties rather than one thing that changes. [...] On the other hand, change requires difference. For if change is to occur, then the same apple must be what is not, since the apple must have a property, such as green, and then have a different and incompatible property, such as red. But how can one thing be the same and different?" (Oaklander 2004: 20)

D'après Haslanger (2003), le problème du changement est dû à l'inconsistance des cinq affirmations suivantes:

  1. Condition de persistance: Les objets persistent à travers le changement.
  2. Condition d'incompatibilité: Les propriétés impliquées dans un changement sont incompatibles.
  3. Loi de la non-contradiction: Rien ne peut exemplifier des propriétés incompatibles.
  4. Condition d'identité: Si un objet persiste à travers un changement, alors l'objet avant le changement est identique à l'objet après le changement.
  5. Condition du sujet du changement: L'objet qui subit le changement est celui qui a les propriétés impliquées dans le changement.

Puisqu'il y a du changement (1), des objets persistent (4) et les propriétés qu'ils (5) ont sont incompatibles (2) ce qui est impossible (3). L'exdurantiste nie (1), l'endurantiste nie (2) et le perdurantiste nie (4) ou (5).

Le changement nous permet d'invoquer des arguments de la forme suivante pour la non-identité de choses:

P1 Ma maison, à deux heures, a un toit.
P2 Ma maison, à trois heures, n'a pas de toit.


C Alors ma maison à deux heures n'est pas (identique à) ma maison à trois heures.

La persistence modale

Le bloc de marbre et la statue se distinguent également en propriétés modales, par rapport à leurs propriétés intrinsèques contingentes. Nous avons un cas analogue à la persistance dans le temps: le bloc de marbre, mais pas la statue, pourrait être dispersé, survivrait le bombardement des Américains, et ne possède pas de manière nécessaire sa forme. Comment analyser ces contre-exemples apparents à la loi de Leibniz (LL)?66 Nous retrouvons des analogues aux trois positions discutées:

  1. L'"endurantiste" maintient qu'il existe une identité à travers les mondes ("trans-world identity"): il s'agit de la position de Kripke que nous allons esquisser dans la sct. 13.2.
  2. L'"exdurantiste" défend une théorie des contreparties: il n'y a pas d'identité à travers les mondes. Les choses n''existent' pas elles-mêmes dans les autres mondes, mais en vertu de l'existence de leurs contreparties. L'existence des particuliers est limitée à un seul monde: les particuliers sont "world-bound".
  3. Le perdurantiste maintient que les choses sont des vers trans-modaux. Nous reviendrons sur cette position 'quinqua-dimensionnaliste' dans la sct. 15.2.

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© 2007 Philipp Keller, Département de Philosophie, Université de Genève
Veuillez citer l'auteur si vous utilisez ce cours.
("Philipp Keller 2007, "Introduction à la métaphysique", cours virtuel á l'Université de Genève, chapitre 12")
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