La philosophie par les paradoxes


Université de Genève, Hiver 01/02, AB7
philipp.blum@philosophie.ch
Texte de base: R.M. Sainsbury, Paradoxes, 2nd ed. Cambridge UP 1995 (disponible à la bibliothèque)


Evaluation:

  • Etudiants de 3ème ou 4ème année (AB7): soit une présentation orale (à deux) et un complément écrit (individuel) de 2000 mots; soit un travail de séminaire de 3000 mots; soit un travail de séminaire "synthèse" portant sur deux séminaires de approx. 6000 mots.
  • Etudiants de 1ère et 2ème année (AB3): une des deux premières options au-dessus, évaluée d'une façon moins stricte.

Délais pour les travaux de séminaire:

  • le 18.1.2002, si vous voulez mes commentaires avant de rendre la version finale
  • le 1.2.2002, pour la version finale

Heures de réception: Soit sur rendez-vous, au département (4ème étage, salle 411), soit vendredi, au restaurant, après les séminaires de doctorants.

Plan des séances

26.10.

introduction, distribution des tâches

2.11.

Zeno's paradoxes

9.11.

Vagueness: les problèmes

16.11.

Vagueness: les théories

23.11.

conférence de Manuel Garcia-Carpintero sur "Semantic vs. Metasemantic Interpretations of Diagonal Propositions"

30.11.

Acting rationally: le paradoxe de Newcomb

7.12.

Acting rationally: le paradoxe des prisonniers

14.12.

Believing rationally: les paradoxes de confirmation

21.12.

Believing rationally: l'épreuve inattendue

11.1.

Believing rationally: les paradoxes épistemiques

18.1.

Classes and Truth: les paradoxes dans la théorie des ensembles

25.1.

Classes and Truth: le paradoxes sémantiques

1.2.

Classes and Truth: les théories de la vérité

8.2.

Are contradictions acceptable?



Bibliographie

Les livres suivants sont disponibles sur le rayon "séminaire" dans la salle Naville:

  • Sainsbury, Paradoxes
  • Williamson, Vagueness
  • Goodman, Fact, Fiction and Forecast
  • Parfit, Reasons and Persons
  • Priest, Introduction to Non-Classical Logics


Notes et Matériel

introduction

Qu'est-ce que c'est qu'un paradoxe?

Sainsbury définit un paradoxe comme une conclusion apparemment inacceptable dérivée par une inférence apparemment acceptable de quelques prémisses apparemment acceptable:

"This is what I understand by a paradox: an apparently unacceptable conclusion derived by apparently acceptable reasoning from apparently acceptable premises." (1995:1)

Quine en dit le suivant:

"... a paradox is just any conclusion that at first sounds absurd but has an argument to sustain it." (1962:1)

Il n'y a que trois types de réactions possible à un paradoxe : ou bien on nie une prémisse et explique pourquoi elle nous paraît vraie tant qu'elle ne l'est pas ; ou bien on essaye de vivre avec la conclusion et nous convainque que ceci n'est pas si mal qu'il semble ; ou bien on met on question la validité de l'inférence et explique pourquoi elle ne transporte pas la vérité des prémisses à la conclusion.

Un paradoxe nous confronte avec deux tâches:

  • une tâche diagnostique qui consiste à identifier la prémisse ou l'inférence inacceptable (ou bien à justifier pourquoi la conclusion est acceptable après tout) et à expliquer pourquoi le raisonnement nous paraissait convaincant, bien qu'il ne l'est pas en vérité.
  • une tâche explanatoire qui consiste à développer une théorie positive du sujet traité par le paradoxe qui ne pas seulement empêche la dérivation de ce ou d'autres paradoxes mais qui est en général philosophiquement plausible.

Exemples

Un paradoxe peut être de différents degrés de complexité et de difficulté. Pour illustrer cela, je veux vous présenter deux paradoxes différents qui concernent, entre d'autres, le problème de la vérité.

Le premier est le paradoxe le plus célèbre, qui s'appelle "Le Menteur". Appelons "Le Menteur" la phrase suivante:

(Menteur)      Le Menteur est faux.

Voilà la dérivation du paradoxe:

(1)

Le Menteur est ou bien vrai ou bien faux.

(2)

Si le Menteur est vrai, alors il est vrai que le Menteur est faux.

(3)

Si le Menteur est vrai, alors le Menteur est faux.

(4)

Si le Menteur est faux, alors il est vrai que le Menteur est faux.

(5)

Si le Menteur est faux, alors le Menteur est vrai.

(C)

Le Menteur est vrai ssi le Menteur est faux.

"Le Menteur" peut nous illustrer le fait qu'un paradoxe appartient toujours à un certain type et que c'est facile, une fois qu'on a compris le paradoxe, de construire d'autres paradoxes du même type qui peuvent servir pour détruire des solutions trop simples à un paradoxe. On pourrait, par exemple, penser que le seul problème avec "le Menteur" est la prémisse (1), une instance du principe général de bivalence qui dit qu'il n'y a que deux valeurs de vérité et que toute phrase a un de ces valeurs. Si on nierait ceci, on pourrait dire que (Menteur) n'est ni vrai ni faux. Mais voilà un autre paradoxe, qui s'appelle "Le Menteur Renforcé" qui ne relie pas sur le principe de bivalence :

(Menteur Renforcé)      Le Menteur Renforcé n'est pas vrai.

Voilà le paradoxe:

(1)

Le Menteur Renforcé est ou bien vrai ou bien il ne l'est pas.

(2)

Si le Menteur Renforcé est vrai, alors il est vrai que le Menteur Renforcé n'est pas vrai.

(3)

Si le Menteur Renforcé est vrai, alors le Menteur Renforcé n'est pas vrai.

(4)

Si le Menteur Renforcé n'est pas vrai, alors il est vrai que le Menteur Renforcé n'est pas vrai.

(5)

Si le Menteur Renforcé n'est pas vrai, alors le Menteur Renforcé est vrai.

(C)

Le Menteur Renforcé est vrai ssi le Menteur Renforcé n'est pas vrai.

Ce paradoxe ne relie pas sur la bivalence, mais sur un principe plus faible qui est celui de la non-contradiction, c'est-à-dire le principe qu'aucune phrase peut être vraie est fausse en même temps.

Un autre paradoxe similaire, mais plus complexe, est celui de Curry. Encore une fois, donnons un nom à une phrase. Appelons la phrase suivante "Sam":

(Sam)     Si Sam est vrai, alors le Père Noël existe.

Voilà le paradoxe:

(1)

Supposons que Sam est vrai.

(2)

Alors (sous cette supposition) il est vrai que: si Sam est vrai, alors le Père Noël existe.

(3)

Alors (sous cette supposition) il est vrai que: Sam est vrai et si Sam est vrai, le Père Noël existe.

(4)

Alors (sous cette supposition) il est vrai que: le Père Noël existe.

(5)

Si Sam est vrai, alors le Père Noël existe.

(6)

Sam est vrai.

(C)

Alors le Père Noël existe.

C'est clair que " le Père Noël existe " est une phrase complètement arbitraire et qu'on pouvait " démontrer " par cette argument, s'il était valide, n'importe quelle phrase.

A part des dérivations de conclusions inacceptables, on appelle parfois des " paradoxes " aussi des phrases ou séquences de phrases qui ont un comportement bizarre sur le plan de leur pragmatique et non pas de leur sémantique. Un tel paradoxe est le " paradoxe du séducteur " qui consiste en une série de deux questions :

(1)

Est-ce que vous me promettez que vous allez donner la même réponse à la prochaine question qu'à cette question-ci ?

(2)

Vous allez dormir avec moi ce soir ?

Comme avant, il faut faire quelques présuppositions pour que le paradoxe " marche ", par exemple il faut présupposer qu'on peut répondre à (1) que par " oui " ou par " non ", et qu'on doit tenir ses promesses. Si on alors répond " oui ", on doit aussi répondre par " oui " à la deuxième question ; si on répond par " non ", il faut changer la réponse pour la deuxième question et alors répondre par " oui ". Dans les deux cas, donc, il faut répondre " oui " à la deuxième question qui peut être d'ailleurs n'importe quelle question.

Pourquoi c'est utile d'étudier les paradoxes

L'étude des paradoxes peut être une introduction à la philosophie analytique sous deux respects :

1. D'une part, la préoccupation avec des paradoxes peut illustrer la manière dont on approche ou devrait approcher, en philosophie analytique, des problèmes et questions philosophiques. J'aimerais rendre plausible cela avec deux citations. La première concerne la question s'il y a deux types de philosophie différents, deux manières concurrentes de faire la philosophie, à savoir la philosophie analytique et ce qu'on appelle la philosophie " continentale ", bien qu'elle n'est pas plus continentale que n'importe quel autre type de philosophie. Il vient du " Philosophical Gourmet Report ", un ranking annuel des départements de philosophie dans les universités anglo-saxones, qui est universellement reconnu comme adéquat et juste. Sous la section, " A note on continental versus analytic philosophie ", l'auteur Brian Leiter écrit :

""Analytic" philosophy today names a style of doing philosophy, not a philosophical program or a set of substantive views. Analytic philosophers, crudely speaking, aim for argumentative clarity and precision; draw freely on the tools of logic; and often identify, professionally and intellectually, more closely with the sciences and mathematics, than with the humanities. [...] "Continental" philosophy, by contrast, demarcates a group of French and German philosophers of the 19th and 20th centuries. The geographical label is misleading: Carnap, Frege, and Wittgenstein were all products of the European Continent, but are not "Continental" philosophers. [...] Continental philosophy is distinguished by its style (more literary, less analytical, sometimes just obscure), its concerns (more interested in actual political and cultural issues and, loosely speaking, the human situation and its "meaning"), and some of its substantive commitments (more self-conscious about the relation of philosophy to its historical situation).
Although it appears to be a widespread view in the humanities that "analytic" philosophy is "dead" or "dying," the professional situation of analytic philosophy simply does not bear this out. All the Ivy League universities, all the leading state research universities, all the University of California campuses, most of the top liberal arts colleges, most of the flagship campuses of the second-tier state research universities boast philosophy departments that overwhelmingly self-identify as "analytic": it is hard to imagine a "movement" that is more academically and professionally entrenched than analytic philosophy. " http://www.blackwellpublishers.co.uk/gourmet/methods.htm

La deuxième citation que je veux vous donner est située dans ce contexte et vient du " New York Review of Books " du 2ème février 1995. Bernard Williams y donne un compte-rendu de différentes livres de Umberto Eco qu'il critique pour son amour pour des paradoxes :

" It [le fait qu"il ne trouve pas rigolo quelques des blagues que Eco fait] relates to a characteristic that Eco does share with many of his academic colleagues in literature, particularly those more dedicated than he is to literary theory. [...] This is paradoxic bulimia, an ungoverned appetite for seemingly contradictory conundroms. Its symptoms drive philosophers to fury, and the difference between the two parties in this respect marks, more than anything else, the contemporary front in the age-old war between the troops of philosophy and the troops of literature. Faced with an apparent contradiction, philosophers, the friends of consistency, want to resolve it. [...] The other party, the friends of conundrum, move in the opposite direction : given a boring fact, they do the best they can to represent it as a contradiction. " (NYRB 2.02.1995, p. 35)

2. L'autre respect sous lequel une étude des paradoxes peut servir comme introduction à la philosophie sérieuse est que les paradoxes, couvrant presque toutes les sujets de la philosophie contemporaine, illustrent les problèmes majeures et servent à tester les essais qui ont été fait à les résoudre.



les paradoxes de Zenon

Zenon, un pré-socratique fameux, a produit différentes arguments pour montrer qu'une pluralité de choses et le mouvement sont impossibles. Parce que ces conclusions sont inacceptables, ses arguments sont aujourd'hui considérés comme des paradoxes. Son argument le plus connu est que Achille, un coureur fameux, ne peut pas dépasser une tortue dans le cours d'une compétition, qui a un tout petit peu d'avantage sur lui.

La tâche diagnostique consiste à expliquer pourquoi cet argument nous paraît convaincant; on pourrait, p.ex., faire référence au fait que les grecs anciens ignoraient le calcul moderne des limites ou défendre la thèse selon laquelle le temps et l'espace ne sont pas infiniment divisibles. La tâche explanatoire pourrait p.ex. être de donner une théorie positive de la relation entre les mathématiques et la réalité physique décrite avec leur aides.

Achilles et la tortue

Quand on a affaire avec un paradoxe, il faut prendre soin de le formuler exactement et de bien distinguer et préciser les prémisses et la conclusion. Pour vous illustrer ce fait, je vais d'abord vous présenter une version fallacieuse et donc non-paradoxale du paradoxe d'Achille. Sur la première page du premier chapitre, Sainsbury dit le suivant (je numérote les phrases):

"[(C)] ... a "proof" that Achilles could never catch up with the tortoise no matter how fast he ran and no matter how long the race went on. [...] [(1)] The first thing Achilles has to do is to get to the place from which the tortoise started. [(2)] The tortoise, although slow, is unflagging: while Achilles is occupied in making up his handicap, the tortoise advances a little bit further. So the next thing Achilles has to do is to get to the new place the tortoise occupies. While he is doing this, the tortoise will have gone on a little bit further still. [(3)] However small the gap that remains, it will take Achilles some time to cross it, and in that time the tortoise will have created another gap." (Sainsbury 1995: 5)

Essayons de formaliser cet argument:
 

(1)

Pour dépasser la tortue, Achille a à atteindre la position antérieure de la tortue.

(2)

Entre-temps, la tortue a déjà avancé un peut. 

(3)

Chaque fois que Achille atteint la position antérieure de la tortue, il y a une distance entre lui et elle. 

(C)

Achilles ne va jamais dépasser la tortue.

Le problème avec cet argument est que (C) ne s'ensuit pas de (3). Tout ce qui s'ensuit de (3) est que Achille ne va pas dépasser la tortue pendant qu'il est encore derrière elle. (3) ne dit rien sur le moment où Achille dépasse la tortue, ni sur tous les autres instants après.

Aristote a présenté et critiqué la Dichotomie dans la Physique (233a21-30). Il reproche à Zenon l'inconsistence suivante: Si on suppose que l'espace est infiniment divisible, on doit également maintenir que le temps est infiniment divisible, parce que le temps et l'espace sont lié conceptuellement par la notion de mouvement: si l'espace est ce que Aristote appelle "continu", alors le mouvement l'est aussi et une infinité d'instances peuvent être définis comme débuts ou fins de ces petits mouvements. Mais si le temps est également infiniment divisible, alors le probl&eagrave;me, selon Aristote, ne se pose même pas. Mais c'est clair qu'il se pose quand même. Pour voir cela, il faut introduire la notion d'une "supertâche", une tâche qui consiste en une infinité d'actions. Le paradoxe alors tourne sur la question si une supertâche, même en principe, est faisable.

"Supertasks"

Voilà une version de l'argument qui fait ce lien visible:

Appelons le point où Achille dépasse la tortue "Z*", le point de départ "Z", les positions intermédiaires "Z1", "Z2", ...., "Zi", ... et les instants correspondants "t*", "t1", "t2", ...., "ti", ....:
 

(1)

Afin d'aller to Z à Z*, Achilles doit faire un nombre infini de trajets: de Z à Z1, etc.

(2)

Il est impossible de faire un nombre infini de trajets.

(C)

Il est impossible pour Achille d'aller à Z*.

Liens




les paradoxes du vague

Les théories du vague, c'est-à-dire des théories qui essayent de donner une sémantique à des expressions vagues comme "chauve", traitent le paradoxe suivant, qu'on appelle celui de Sorite:

(1)

Une personne avec 1 cheveu est chauve.

(2)

Si une personne avec n cheveux est chauve, alors une personne avec n+1 cheveux est chauve aussi.

(C)

Une personne avec un milliard de cheveux est chauve.

C'est claire que la conclusion est inacceptable; en plus elle collide avec la première prémise de l'argument suivant:

(1)

Une personne avec un milliard de cheveux n'est pas est chauve.

(2)

Si une personne avec n cheveu n'est pas chauve, alors une personne avec n-1 cheveux n'est pas chauve non plus.

(C)

Une personne avec un seul cheveu n'est pas chauve.

La tâche diagnostique est de bloquer cet argument. La tâche explanatoire est de développer une théorie positive du vague qui explique pourquoi les arguments du type de celui que je viens de présenter ne sont pas valides.

Il y a en gros de types de théories du vague, des théories sémantiques et des théories epistémiques: selon les premières, le fait que certains expressions des langues naturelles sont vagues est le résultat d'une indécision auprès ceux qui utilisent cette expression: "vagueness is semantic indecision". Une proposition contenant une telle expression vague est vraie si et seulement si elle est vraie sous toutes les manières de faire ces décisions sémantiques; elle est fausse ssi elle est fausse sous toutes les manières de faire ces décision sémantiques et ni vraie ni fausse dans tous les autres cas.

Selon les théories épistemiques, cependant, il y a un n particulier pour lequel la deuxième prémisse au-dessus est fausse. Nous ne savons pas pour quel n cela est le cas, et c'est pourquoi l'inférence nous paraît plausible à première vue.

Le paradoxe de Sorite

Les théories du vague, c'est-à-dire des théories qui essayent de donner une sémantique à des expressions vagues comme "chauve", traitent le paradoxe suivant, qu'on appelle celui de Sorite:

(1)

Une personne avec 1 cheveu est chauve.

(2)

Si une personne avec n cheveux est chauve, alors une personne avec n+1 cheveux est chauve aussi.

(C)

Une personne avec un milliard de cheveux est chauve.

C'est claire que la conclusion est inacceptable; en plus elle collide avec la première prémise de l'argument suivant:

(1)

Une personne avec un milliard de cheveux n'est pas est chauve.

(2)

Si une personne avec n cheveu n'est pas chauve, alors une personne avec n-1 cheveux n'est pas chauve non plus.

(C)

Une personne avec un seul cheveu n'est pas chauve.

La tâche diagnostique est de bloquer cet argument. La tâche explanatoire est de développer une théorie positive du vague qui explique pourquoi les arguments du type de celui que je viens de présenter ne sont pas valides.

Préliminaires

Avant de critiquer les différentes du vague qui ont été proposé, il est utile de réfléchir aux conditions auxquelles ces solutions devraient obéir.

  • 1. En premier, il faut se demander si la phrase suivante est vraie ou fausse:

    Il y a un n tel qu'un homme avec n cheveux est chauve mais quelqu'un avec n+1 cheveux ne l'est pas.

  • 2. Deuxièment, il faut décider si on veut garder les instances du principe de tiers exclu pour les prédicates vague. La phrase suivante, est-elle vraie ou fausse?

    Tout homme est ou bien chauve ou bien il n'est pas chauve, mais pas les deux.

  • 3. Troisièment, il faut se décider si on veut, avec Sainsbury, une théorie qui distingue les expressions vagues de ceux que Sainsbury appelle "incomplètes". Une expression incomplete s'applique à certaines choses et ne s'applique pas à d'autres, mais il y a d'autres choses sur lesquels sa sémantique ne nous dit rien. On peut penser, par exemple, qu'il n'est ni vrai ni faux que le numéro 2 soit rouge, sans que cela doit avoir quelque chose à faire avec le fait que "rouge" est vague.

  • 4. Le plus grand issue théorique à résoudre pour une critique des différentes théories est la question si on accepte le phénomène du "vague à niveaux supérieures" ("higher-order vagueness"). Selon Sainsbury, non seulement est-il vague si quelqu'un est un enfant, mais il est également si quelqu'un est clairement un enfant ou pas. On dit alors que "enfant" non seulement est vague, mais vague de deuxième degré.

La théorie épistémique

Selon beaucoup de critères, la théorie épistémique de Williamson est la plus simple: elle consiste en le rejet d'une prémisse. Le fait que nous ne savons pas quelle prémisse il faut rejeter est considéré comme purement épistémique: il y a un n à partir duquel "un homme avec n cheveux est chauve" change de vrai à faux; le fait que nous ne savons pas quel n est ce "sharp cut-off point" n'a rien à voir avec cela. Mais nous savons bien qu'il y ait un tel n, ceci étant une espèce particulière de "savoir inexacte". Williamson donc maintient le tiers exclu pour des prédications vagues, expliquant notre hésitation d'affirmer ou bien "il est chauve" ou bien "il n'est pas chauve" d'un cas à la frontière de la chauveté comme ignorance. Normalement, il a été considéré comme absurde d'expliquer cette hésitation comme pure ignorance, parce qu'on n'a pas pu imaginer qu'est-ce qui, dans le monde, pourrait résoudre la question. Williamson a donc à montrer que l'idée d'une ignorance nécessaire n'est pas si absurde qu'elle paraît. Il le fait à l'aide d'une expérience de pensée: si nous nous imaginons dans un stade, observant la foule, il peut bien paraître que les quatres phrases suivantes sont vraies (Williamson 1995: 218ff.):

(1)

I know that there are not exactly n-1 people.

K-q

(2)

I do not know that there are not exactly n people. 

-K-p

(3)

I know that if there are exactly n people, then I do not know that there are not exactly n-1 people.

K(p -> -K-q)

(1) et (2) dérivent du fait que l'ensemble de nombres n tel que je ne sais pas qu'il n'y a pas exactement n hommes dans le stade a un élément minimal. (3) est supporté par l'idée que tout jugement à propos d'un nombre précis de personnes n'était qu'un cas de devinette. (3) est équivalent à "K(K-q -> -p)"; si on distribue K, on obtient "KK-q -> K-p". Williamson codifie ce pas comme (4):

(4)

If I know some propositions and from those propositions it logically follows that there are not exactly n people, then I know that there are not exactly n people. 

Kr & (r->-p) -> K-p

Si on peut dériver KK-q de (1), alors, on a une contradiction avec (2). Ceci est le pas de la dérivation paradoxale que Williamson rejette (Williamson 1995: 222). Comme c'est une instance du principe générale de la transitivité du savoir (ce que Williamson appelle le "KK-principle"), il rejette aussi le principe général.

Une théorie sémantique: la logique à plusieurs valeurs

La logique du "presque vrai" est une théorie sémantique qui rejete non pas une des prémisses comme complètement fausse mais qui attaque le raisonnement comme invalide qui dérive des prémisses acceptables une conclusion inacceptable. L'idée de cette approche est que les prémisses conditionelles du Sorite ne sont pas complètement vraies, mais seulement vraies à un certain degrès. Comme on itérère modus ponens, qui, comme toutes les règles d'inférence,  ne peut pas "augmenter le degré de vérité" (justifier le pas d'une proposition vraie à degré x à une autre vraie à degré x+t), on arrive par de petits pas d'une prémisse catégorique complètement vraie à une conclusion complètement fausse.
Il y a différentes possibilités de rendre cela précis; je vais en discuter trois: une logique de n valeurs numérique, une logique avec une infinité de valeurs numérique et une logique avec des valeurs non-numériques.
Une logique propositionelle à n valeurs de vérité ajoute au tables de vérité des connecteurs logiques des lignes qui spécifient leur comportement dans les cas ou une ou plusieurs des propositions contenu dans la phrase complexe ont des valeurs de vérité autres que "vrai" ou "faux". On peut alors p.ex. restreindre la validité du tiers exclu au cas ou la proposition pertinente est ou bien vraie ou fausse.
Une logique propositionelle avec tous les nombres réells entre 0 et 1 comme "valeurs de vérité" a été developpé par Lukasiewicz. Il donne à la négation le valeur 1-n (si n est le valeur de la proposition niée), à une conjonction binaire le minimum, à une disjonction binaire le maximum des valeurs de vérité de leurs composantes, et à un biconditionelle 1 - la différence entre les valeurs de ses propositions composantes. Dans cette logique on peut introduire une infinité de constantes et operateurs, en payant le prix que la logique resultante n'est plus compacte et ses théorèmes ne peuvent plus être énumérées d'une façon récursive.

Le problème majeure avec les logiques qui ont des valeurs non-numériques est qu'on n'a pas encore trouvé des définitions adéquates et plausibles des connectives logiques.

Le problème majeure qui confronte les deux premières théories est le phénomène de "higher-order vagueness".
Une logique à n valeurs permet la définition d'un opérateur "... a un valeur de vérité définitif": "+p" est vrai si p est ou bien vrai ou bien faux et faux dans tous les autres cas. Si l'introduction d'au moins un valeur supplémentaire nous permet de restreindre la validité du tiers exclu, on a toujours analogue, i.e. "+p v - +p", qui est faux dans la présence de "higher-order vagueness" (Williamson 1995: 112). .
Encore un autre problème se pose pour les théories avec beaucoup ou même une infinité de valeurs de vérité. L'attribution d'un tel valeur à une proposition est elle-même vague. Mais pourquoi en peut-on pas donner la même solution à ce problème-ci? Parce que une sémantique vague rend la logique classique invalide (Williamson 1995: 128). Mais si on renonce à la logique classique aussi pour le niveau du méta-langage, on perd des propriétés désirable de la solution proposé au problème du vague. Il ne serait plus possible, alors, de dire que ou bien une proposition p est plus vraie que q ou bien q est plus vrai ou aussi vrai que p: l'idée entière d'un ordre de valeurs de vérité, qui a motivé le développement de cette logique, ne serait plus exprimable.
Un autre problème grave qui affronte ces théories est l'implausibilité de ce que Williamson appelle "degree-functionality", c'est à dire que le degré de vérité d'une proposition complexe est une fonction de (est détérminé uniquement par) les degrés de vérité de ses consituents. Il est facile de trouver des examples ou le degré de p & q (p v q) n'est pas le même que celui de p & p (p v p), même si p et q sont vrais au même degré.

Une autre théorie sémantique: la méthode des supervaluations

Une autre théorie sémantique utilise la méthode de supervaluations. Un approche particulier à cette méthode (celui de David Lewis) commence avec l'observation que nous, en parlant, normalement ne faisons pas toutes les décisions possible: nous choississon délibéremment des expressions vagues pour ainsi réduire le risque d'avoir tort. En appelant quelqu'un "chauve", par exemple, je ne me commets pas à un nombre précis de cheveux, puisque ce que je dis est compatible avec beaucoup de manières de préciser "chauve". Le supervaluationiste pense que mon énoncé "Sam est chauve" est vrai ssi il est vrai pour toute précision acceptable de "chauve". On peut appeler un énoncé "super-vrai" ssi il est vrai sous toutes manières accéptables de le préciser, "super-faux" ssi il est faux sous toutes ces précisions. Le supervaluationiste maintient que "super-vrai" remplace "vrai" et "super-faux" remplace "faux" pour les phrases contenant des expressions vagues. Des phrases vagues qui ne sont ni super-vraies ni super-fausses sont alors ni vraies ni fausses.
Parce que toute précision acceptable de "chauve" mentionne un n particulier tel qu'un homme avec n cheveux est chauve mais un homme avec n+1 cheveux ne l'est pas, un paradoxe de Sorite, sous n'importe quelle précision de son terme vague, contient une prémisse qui n'est pas vraie: la conjonction des prémisses est alors super-fausse. Pour la même raison, la phrase suivante est super-vraie:
(*) Il y a un n tel que un homme avec n cheveux est chauve mais quelqu'un avec n+1 cheveux ne l'est pas.
Le supervaluationiste peut distinguer entre deux notions de validité (cf. Williamson 1995: 147f.). Un argument est localement valide ssi le conditionel des prémisses à la conclusion est super-vrai, c'est-à-dire si toute précision qui rend les prémisses vraies rend aussi la conclusion vraie (Dummett 1975). Un argument est globalement valide ssi il préserve super-vérité (Fine 1975).Williamson donne un argument pourquoi un supervaluationiste devrait accepter une notion globale de validité:

"The problem for supervaluationists [avec la notion locale de la validité] is that supertruth plays no role in the definition of local validity. Yet they identify truth with supertruth; since validity is necessary preservation of truth, they should identify it with necessary preservation of supertruth." (Williamson 1995: 148)

La méthode des supervaluations est générale et s'applique à tous les mots qui ont une "signification incomplète" ("incomplete meaning") et tous les cas où on ne fait pas une décision sémantique possible ("semantic indecision"). Sainsbury considère cette généralité comme un défaut:

"The problem I am posing for the supervaluational theory is that it cannot distinguish between vagueness and incompleteness, for it will offer the same treatment for any predicate which can be associated with three sets as positive extension, negative extension and penumbra." (1995: 38)

Si on accepte le phénomène de "higher-order vagueness", il faut traiter comme vague la notion d'une précision acceptable. Ceci présente un danger si on admet la définition d'un nouvel opérateur "definitely" tel que "definitely p" est vrai ssi p est super-vrai. Comme la super-vérité est défini à l'aide d'une quantification universelle sur des précision, il est naturel de donner à "definitely" le comportement de l'operateur de nécéssité dans la logique modale S5. Un des problèmes avec cet opérateur alors est que, étant donné la notion globale de validité, le supervaluationiste, bien qu'il préserve la logique classique au niveau des formules, la perd au niveau des arguments: les règles d'inférence classique de la contraposition, de la preuve conditionelle, argument par cas et reductio ad absurdum ne sont plus (globalement) valides (Williamson 1995: 151), bien qu'ils le sont localemment. Un autre problème est que le schema logique charactéristique de S5, "either definitely p or not definitely not p", est rendu invalide par la présence de "higher-order vagueness", qui falsifie "either definitely p or definitely not p" (Williamson 1995: 157). Mais même si on donne à "definitely" une sémantique beaucoup plus faible (Williamson propose T), il reste le problème que le supervaluationiste doit travailler dans un màta-language vague, s'il reconnaît l'existence de "higher-order vagueness".

Une autre question est jusqu'à quel point la méthode des supervaluations peut maintenir la logique classique. Elle rend vraie toutes les instances du tiers exclu, parce que toute précision acceptable de "chauve" p.ex. fait une partition exhaustive entre les chauves et les poilus. Un supervalualiste, cependent, peut accepter le tiers exclu, bien qu'il refuse le principe de bivalence. Un tel philosophe accepte donc des disjonctions vraies qui n'ont pas de vrai disjoint. Il rejette donc la vérifonctionalité des connecteurs logiques.Il accepte, comme le montre (*) ci-dessus, aussi des quantifications existentielles vraies qui n'ont pas d'instance vraie. Pour Williamson, ceci est la conséquence d'une disanalogie cruciale entre vérité et super-vérité. La première est, mais la dernière n'est pas disquotationelle (Williamson 1995: 162). Si super-vérité serait disquotationelle, l'invalidité de la bivalence (comme principe du méta-language) impliquait l'invalidité du tiers exclu (comme schema dans l'objet-language). Si on réintroduit un prédicat de vérité dans l'objet-language, on peut définir "super-vrai" à l'aide de ce prédicat et l'opérateur "definitely". Mais il faut alors, selon Williamson, se demander pourquoi on a toujours besoin de "super-vrai":

"Once higher-order vagueness is recognized, it disqualifies supertruth just as first-order vagueness disqualifies truthT [le prédicat disquotationel de l'objet-language]. [...] There is no more reason to equate ordinary truth with supertruth, definite truthT, than with definite definite truthT. There is more reason to identify it with truthT. TruthT is vague, but so is any notion of truth we can grasp. Perhaps the ordinary concept of truth should match the vagueness of the sentences to which it is applied." (Williamson 1995: 163)

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le problème de l'explosion ontologique

Un autre problème qui entoure ces questions c'est s'il y a des objets vagues. D'une part, on peut se demander si la notion même d'un objet vague est cohérente. Evans, p.ex., a argumenté qu'il ne l'est pas et d'autres ont contesté cet argument. D'autre part, il y a ce qu'on appelle "the Problem of the Many".

Considérons le chat Tibbles sur le matelas qui a beaucoup de cheveux, disons c1, ... cn. Tibbles survivait la perte de n'importe quel de ses cheveux, alors l'objet Tibbles-ci est toujours un chat, pour n'importe quel i. Mais Tibbles-ci n'est pas identique à Tibbles tout court, parce que le dernier a un cheveu que le premier manque. Sommes-nous alors forcé à conclure qu'il y a différents chats sur le matelas? Bien sûr nous voudrions dire qu'il n'y a qu'un seul chat sur le matelas, mais c'est difficile de défendre cela contre l'argument que je viens de mentionner.



le paradoxe de Newcomb

On appelle "paradoxe de Newcomb" l'expérience de pensée suivante: Il y a deux caisses devant vous, A et B. Vous pouvez ouvrir les deux caisses ou bien n'ouvrir que B. Il y a aussi un être que nous appelons "le prédicteur", un malin génie qui, dans le passé, n'a fait que de vraies prédictions de vos actions. Vous avez donc toute raison imaginable pour penser qu'il va aussi avoir raison avec sa prédiction de votre choix présent. Ce prédicteur a posé 1000 francs dans la boîte A et il a mis un million de francs dans B s'il a prédit que vous n'allez prendre que B, et il y a mis rien s'il a prédit que vous allez prendre les deux caisses. Qu'est-ce qu'il faut faire alors?

Voilà un argument qu'il faut prendre les deux caisses. Le prédicteur a déjà fait sa prédiction. Ou bien il a prédit que je vais prendre les deux caisses ou bien il a prédit que je ne fais prendre que B. Dans le premier cas, il vaut mieux de prendre les deux caisses, parce que j'aurais au moins 1000 francs ce qui est mieux que rien. Dans le deuxième cas, il vaut également mieux de prendre les deux caisses, parce que j'aurais 1001000 francs ce qui est mieux que 100000 francs. Alors il faut prendre les deux caisses.

Voilà un argument qu'il ne faut prendre que la caisse B. Si je prenais les deux caisses, alors il aurait prédit que je vais prendre les deux (parce qu'il avait toujours raison avec ses prédictions jusqu'à maintenant) et alors il n'aurait rien mis dans B. Je n'aurais que mille francs dans ce cas-là. Si de l'autre côté je ne prenais que B, alors il aurait prédit cela et j'aurais une million, ce qui est mieux que 1000 francs.

Comme j'ai un choix à faire entre deux options incompatibles, la tâche diagnostique est d'expliquer qui ne marche pas avec un de ces arguments. La tâche explanatoire est de discerner et évaluer les principes généraux en jeu ici et de discuter le rôle de certains suppositions faites, p.ex. la pertinence de la question s'il y a de la "backwards causation", c'est-à-dire la question s'il est possible qu'un événement futur cause un événement passé.

L'importance du rôle de la causalité peut être testé avec l'expérience de pensé suivante.

Si fumer est une cause du cancer, il est rationel d'arrêter de fumer pour réduire le risque d'un cancer. Si le fait qu'on fume et le risque d'un cancer, cependant, seraient des effets d'une cause commune, disons d'une certaine disposition génétique, il ne serait pas rationel d'arrêter de fumer pour réduire le risque d'un cancer. S'il s'agissait d'une simple correlation, mon choix ne pouvait pas influencer mon risque d'avoir un cancer. Mais est-ce qu'un proponent de "one-boxing" ne serait-il pas commis à dire que même dans ce cas-là, il serait plus rationel d'arrêter de fumer?

Le problème de Newcomb a une connection intéressante avec la discussion entourant van Inwagen's "incompatibility argument" qui devrait démontrer que le déterminisme exclue l'existence d'un libre arbitre. Adoptons la terminologie suivante:

"Soft determinism is the doctrine that sometimes one freely does what one is predetermined to do; and that in such a case one is able to act otherwise though past histroy and the laws of nature determine that one will not act otherwise." (Lewis 1981: 291)

L'argument est une reductio:

I did not raise my hand; suppose, for reductio that I could have raised my hand, although determinism is true. Then it follows, given four premises that I cannot question, that I could have rendered false the conjunction HL of a certain historical proposition H about the state of the world before my birth and a certain law proposition L. If so, then I could have rendered L false. (Premise 5). But I could not have rendered L false. (Premise 6)." (Lewis 1981: 296)

Supposons maintenant que mon choix détermine causalement la prédiction du Prédicteur. On aurait alors un argument analoge contre la possibilité même de prendre les deux caises.

(1)

Supposons que le Prédicateur a prédit que je vais prendre une seul caisse.

(2)

Alors il a mis un million dans B.

(3)

Alors je ne vais prendre que B.

(4)

Si je pouvais prendre les deux caisses, alors je falsifierais sa prédiction.

(5)

Mais je ne peux pas falsifier sa prédiction.

(C)

Alors je ne peut pas prendre les deux caisses.

Pour répondre à l'argument pour l'incompatibilité du déterminisme avec l'existence du libre arbitre, Lewis distingue entre deux sens de rendre un loi de la nature faux:

"Let us say that I could have rendered a proposition false in the weak sense iff I was able to do something such that, if I did it, the proposition would have been falsified (though not necessarily by my act, or by any event caused by my act). And let us say that I could have rendered a proposition false in the strong sense iff I was able to do something such that, if I did it, the proposition would have been falsified either by my act itself or by some event caused by my act. The Weak Thesis, which as a soft determinist I accept, is the thesis that I could have rendered a law false int he weak sense. The Strong Thesis, which I reject, is the thesis that I could have rendered a law false in the strong sense." (Lewis 1981: 297)

La même distinction est applicable à notre example.

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le paradoxe des prisonniers

On appelle "dilemma des prisoniers" la suivante expérience de pensée: Vous et une amie sont arrêtées par la police pour trafique de drogue et enfermées dans deux cellules différentes. Le juge d'instruction vous dit que vous avez un choix à faire: ou bien vous confessez votre crime et vous allez en prisons pour cinq ans (si votre amie confesse aussi) ou pas du tout (si elle ne confesse pas); ou bien vous confessez pas et vous allez en prison pour dix ans (si elle confesse) ou pour un an (si elle ne confesse pas). Vous avez donc à faire votre choix selon la matrice suivante:
 

elle confesse

elle ne confesse pas

je confesse

5 ans pour moi, 5 pour elle

pas de prison pour moi, 10 ans pour elle

je ne confesse pas

10 ans pour moi, pas de prison pour elle

1 an pour moi, 1 an pour elle

C'est clair que le choix le plus rationel est de confesser. Mais le même vaut pour votre amie. Si tous les deux font ce qui est le plus rationel de leur point de vue, cependent, les deux vont en prison pour cinq ans, ce qui est pire que le résultat si les deux n'avaient pas conféssé. La tâche diagnostique, en conséquent, consiste en expliquer cette divergence apparente, en trouver des principes et justifier un certain cours d'actions des prisoniers. La tâche explanatoire est de développer une théorie générale des choix rationels. 

Le raisonnement (et la morale!) du dilemme des prisoniers peut être appliqué à une grande variété de phénomènes sociaux, par exemple à la question s'il est raisonnable de payer un ticket pour les trams et les bus. Il semble rationel de ne pas acheter un ticket ssi le prix d'un ticket, multiplié par n, le nombre total des fois qu'on utilise un tram ou un bus, est supérieur à la probabilité p d'être découvert, muliplié par n et le prix de l'amende. Si, par exemple, on vit à Genève et on utilise le bus ou le tram une fois par journée, c'est rationel de ne pas acheter un ticket ssi on n'est pas à payer plus de huit amendes par années. C'est clair que, selon ce raisonnement, c'est rationel de ne pas acheter un ticket. Mais si tout le monde n'achetait plus de tickets, ou bien le risque d'être pris ou les prix augmentaient ou bien même les TRG subiraient une faillite.

Il est possible d'argumenter qu'il est rationel d'espérer que la chose rationelle de faire c'est de confesser (cf. Pettit 1986: 182):

(1)

If we each act rationally, and our situations are symmetrical, then if I cooperate it is rational for me to cooperate and if it is rational for me to cooperate then the other cooperates too.

(2)

If we each act rationally, and our situations are symmetrical, then if I defect it is rational for me to cooperate and if it is rational for me to defect then the other defects too.

(3)

But we do each act rationally, and our situations are symmetrical.

(4)

Therefore if I cooperate it is rational for me to cooperate and if it is rational for me to cooperate then the other cooperates too; and likewise if I defect it is rational for me to defect and if it is rational for me then the other defects too.

(C)

I get the better result if I cooperate, assuming it is rational to cooperate; so, being rational, I should hope that it is.

Il y aussi un grand intérêt pour ce qu'on appelle les "dilemmes des prisoniers itérés", où les acteurs à chaque ronde se souviennent de ce que leur partenaire a fait dans la dernière ronde. Selon quelques simulations, la meilleure stratégie dans ce cas-là est ce qu'on appelle "Tit-for-tat": faire ce que l'autre a fait dans la dernière ronde. Mais même cette stratégie peut devenir sub-optimale si on se trouve dans une population avec un pourcentage suffisant de "méchants", qui ne coopérent jamais.

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les paradoxes de confirmation

Un fameux paradoxe de confirmation est le paradoxe des corbeaux. Supposons que nous essayons d'établir (1), une généralisation empirique, en faisant des observations de corbeaux:

(1)    Tous les corbeaux sont noirs.

Nous appelons "une instance positive" tout corbeau noir que nous trouvons, "instance négative" des corbeaux qui ne sont pas noirs. Nous croyons en (1) si nous avons beaucoup d'instances positives et pas d'instance négatives. (1) est logiquement équivalent à (2).

(2)    Tout ce qui n'est pas noir, n'est pas un corbeau.

Il semble que tout ce qui confirme (2), va aussi confirmer (1) (vu le fait que (1) et (2) sont logiquement équivalents). Mais alors on devrait dire qu'une table blanche confirme (1), ce qui est absurde:

"Data relevant to whether or not all ravens are black must be data about ravens." (Sainsbury 1995: 79)

La tâche diagnostique est alors de dire pourquoi nous ne sommes pas obligés à dire cela, tandis que la tâche explanatoire est de développer une théorie générale de la confirmation des généralisations empiriques.

Un autre paradoxe dans la théorie de la confirmation a été découvert par Goodman, qui a introduit le prédicat "grue"comme suit:

(Grue)   x est grue <-> x a déjà été examiné et était vert ou x n'a pas encore été examiné et est bleu 

Le problème maintenant c'est de justifier pourquoi un emeraude vert confirme

(1)    Tous les emerauds sont verts.

bien qu'il ne confirme pas

(2)    Tous les emerauds sont grue.

Il est clair que (2) est une hypothèse empirique sans valeur, une vérité qui ne nous dit rien sur le futur ou sur des emerauds qu'on n'a pas encore examiné: "grue", dans la terminologie de Goodman, n'est pas un prédicat "projectible". Mais il semble que (2) est confirmé ssi (1) est confirmé. Nelson Goodman (1955, 4ème edition 1983) traite le problème en essayant d'expliquer la particularité de "grue". Il note les points suivants:

  • Il n'est pas vrai que toutes les conséquences d'une hypothèse générale la confirment (1983: 68).

  • Le paradoxe des corbeaux nous force à prendre en compte de l'évidence qui ne fait pas partie du domaine de l'investigation; si on excluerait les choses noires qui ne sont pas des corbeaux, même "rien n'est ou bien noire ou bien un corbeau" serait confirmé, ce qui est absurde (1983: 71).

  • Il faut se limiter aux généralisations qui ont le charactère d'une loi naturelle ("lawlike") (1983: 73).

  • Nous ne pouvons pas donner un critère syntaxique de la généralité requise pour une hypothèse (1983: 78), au moins si on garde E1, le principe que deux hypothèses équivalentes sont ou bien confirmées ou bien refutées ensemble. Un critère sémantique doit reconnaître le fait que, comme "grue" est défini par "bleu" et "vert", "vert" peut être défini par "grue" et "bleen" (1983: 80).

Il réformule la question initiale, "quelles hypothèses sont confirmées par leur instances positives?" dans sa théorie de la projectibilité: "Comment distinguer entre les hypothèses projectibles et les hypothèses non-projectibles?". Il suggère qu'on pourrait utiliser le fait que quelques hypothèses étaient déjà, dans le passé, projetées avec succès (1983: 85): la tâche serait alors de définir le prédicat "projectible" sur la base du prédicat "projeté". Après avoir exclu les hypothèses violées et exhaustées, il propose "entrenchment" comme critère pour les mots que contienntent les hypothèses en question:

"The answer, I think, is that we must consult the record of past projections of the two predicates. Plainly "green", as a veteran of earlier and many more projections than "grue", has the more impressive biography. The predicate "green", we may say, is much better entrenched than the predicate "grue"." (1983: 94)

Mais il pense aussi que ce critère sémantique nous procure des indices pour un critère ontologique:

"... surely the entrenchment of classes is some measure of their genuiness as kinds; roughly speaking, two things are the more akin according as there is a more specific and better entrenched predicate that applies to both." (1983: 123)

David Lewis, dans "Putnam's Paradox", a fait la suggéstion de prendre une telle notion de "naturalness" comme primitive:

"Among all the countless things and classes that there are, most are miscellaneous, gerrymandered, ill-demarcated. Only an elite minority are carved at the joints, so that their boundaries are established by objective sameness and difference in nature. Only these elite things and classes are eligible to serve as referents." (1984: 65)


le paradoxe de l'examen inattendu

L'enseignant fait l'annonce suivante samedi:

"La semaine prochaine vous auriez un examen inattendu, c'est-à-dire un examen qui vous surprendra et pour qui vous n'allez pas vous pouvoir préparer."

Comme le cours tient lieu le lundi, mercredi et vendredi, il y a trois possibilités (M, W, F). On assume trois principes pour l'état doxastique D d'un élève a à t (Da, t):

(closure)    Da, t(p->q) & Da, t(p) -> Da, t(q)

(retention)    Da, t(p) & t<t' -> Da, t'(p)

(memory)    -M -> Da, Tuesday(-M) & -W -> Da, Thurday(-W)

Nous formalisons l'énoncé de l'enseignant comme suivant:

(X)    (M & -W & -F & -Da, Sunday(M)) v (-M & W & -F & -Da, Tuesday(W)) v (-M & -W & F & -Da, Thursday(F))

Le paradoxe consiste en la suivante dérivation de la conclusion inacceptable que (X) est faux:

I. Jeudi soir, un étudiant a raisonne comme suivant:

(1)

X

hypothèse pour la reductio

(2)

F v M v W

de (1)

(3)

F -> -M & -W

de (1)

(4)

F -> Da, Tuesday(-M) & Da, Thursday(-W)

de (3) avec (memory)

(5)

F -> Da, Thursday(-M) & Da, Thursday(-W)

de (4) avec (retention)

(6)

Da, Thursday(-M) & Da, Thursday(-W) -> Da, Thursday(F)

prémisse I

(7)

F -> Da, Thursday(F)

de (5) et (6)

(8)

F -> -M & -W & Da, Thursday(F)

de (3) et (7)

(9)

F -> -X

de (8)


II. a peut reproduire cet raisonnement mardi et raisonner comme suivant:

(10)

X

hypothèse pour la reductio

(11)

-F

de (1) et (9)

(12)

W -> -M

de (10) et (11)

(13)

W -> Da, Tuesday(-M)

de (12) avec (memory)

(14)

Da, Tuesday(-M)->Da, Tuesday(W)

prémisse II

(15)

W -> Da, Tuesday(W)

de (13) et (14)

(16)

W -> -F & -M & Da, Tuesday(W)

de (11), (12) et (15)

(17)

W -> -X

de (16)


III. a peut reproduire ces deux raisonnements dimanche et raisonner comme suivant:

(18)

X

hypothèse pour la reductio

(19)

-W & -F

de (1), (9) et (17)

(20)

Da, Sunday(-M)

prémisse III

(21)

-X

de (19) et (20)


Une manière d'arriver à (6):

(a)

Da, Sunday(X)


(b)

Da, Thursday(X)

(retention)

(c)

X->(-M&-W->F)


(d)

Da, Thursday(-M&-W->F)

(closure) et MP

(6)

Da, Thursday(-M) & Da, Thursday(-W) -> Da, Thursday(F)

(closure)


Une manière d'arriver à (14):

(a)

Da, Sunday(X)


(b)

X->-F

(9)

(c)

Da, Sunday(-F)

de (a) et (b) avec (closure)

(d)

Da, Tuesday(-F)

de (c) avec (retention)

(f)

X->(-M&-F->W)


(g)

Da, Tuesday(X)

de (a) avec (retention)

(14)

Da, Tuesday(-M)->Da, Tuesday(W)

de (a),(d),(g) avec closure (2 fois)


Une autre manière d'arriver à (20):

(a)

Da, Sunday(X)


(b)

X->-F&-W

(9) et (17)

(c)

Da, Sunday(-F)&Da, Sunday(-W)

de (a) et (b) avec (closure)

(d)

X->(-W&-F->M)


(20)

Da, Sunday(-M)

de (a),(c),(d) avec closure (2 fois)

Le meta-paradoxe consiste dans le fait que l'étudiant peut faire tout ce raisonnement dimanche et donc se convaincre que X est faux. Alors l'examen va le surprendre et X, après tout, est vrai.

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les paradoxes épistemiques

Pour ce que Sainsbury appelle le "paradoxe du savoir", nous appelons "Sam" la phrase suivante:

(Sam)    Je sais que Sam est faux.

Voilà la dérivation du paradoxe:

(1)

Supposons que Sam est vrai.

(2)

Alors (sous cette supposition) il est vrai que: Je sais que Sam est faux.

(3)

Alors (sous cette supposition) il est vrai que: Sam est faux.

(4)

Si Sam est vrai, alors Sam est faux.

(5)

Sam est faux.

(6)

Je ne sais pas que Sam est faux.

(7)

Mais je sais que Sam est faux.

Pour le "paradoxe de la croyance", nous appelons "Sam" la phrase suivante:

(Sam)    Je ne crois pas Sam.

Voilà la dérivation du paradoxe:

(1)

Supposons que je crois Sam.

(2)

Alors (sous cette supposition) je crois que je crois Sam.

(3)

Alors (sous cette supposition) je crois que si Sam alors je ne crois pas Sam.

(4)

Alors (sous cette supposition) je crois que: si je crois que je crois Sam, alors je ne crois pas que je ne crois pas Sam.

(5)

Alors (sous cette supposition) je ne crois pas Sam.

(6)

Si je crois Sam, alors je ne crois pas Sam. 

(7)

Je ne crois pas Sam.

(8)

Alors je crois que je ne crois pas Sam.

(9)

Je crois que Sam.

Une manière d'arriver à (5) est d'itérer le pas de (1) à (2), en obtenant "Je crois que je crois que je crois Sam", et appliquer (closure).

les paradoxes dans la théorie des ensembles

Pour le fameux paradoxe de Russell, supposons qu'il y a un ensemble R qui contient tous et seulement les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes. Si R se contient soi-même, c'est un ensemble qui ne se contient pas soi-même. Si R ne se contient pas soi-même, c'est un des ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes et alors 4il se contient soi-même. En conséquent, R se contient soi-même ssi R ne se contient pas soi-même.

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les paradoxes sémantiques

La famille des paradoxes sémantiques, mathématiques et/ou impliquants auto-référence peut être divisée en deux groupes, les paradoxes „mathémLatiques“ et les paradoxes „sémantiques“. „, la dernière encore subdivisée entre paradoxes qui impliquent une notion de définiabilité et ceux qui ne le font pas. Peano et Ramsey ont cru que cette distinction est importante, tant que d'autres comme Herzberger et Priest ont douté d'une telle catégorisation.

Les paradoxes mathématiques:

  • Le paradoxe de Cantor: il n'y a pas d'ensemble de tous les ensembles.

  • Le paradoxe de Russell: il n'y a pas d'ensembles de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes.

  • Le paradoxe de Burali-Forti: il n'a pas de nombre ordinal maximal.

  • Le paradoxe de Mirimanoff: il n'y a pas d'ensemble de tous les ensembles bien fondé

Les paradoxes sémantiques impliquants définiabilité:

  • Le paradoxe de König: „Le nombre ordinaire indéfiniable minimal“ définit le nombre ordinaire indéfiniable minimal.

  • Le paradoxe de Berry: „Le nombre naturel minimal qui n'est pas définissable en moins de 15 mots“ est définissable en moins de 15 mots.

  • Le paradoxe de Richard: Si T désigne une liste complète de tous les nombres réels entre 0 et 1 qui sont désignés par des expressions françaises, alors „le nombre réel entre 0 et 1 qui a un 0 à la nième place si le nième nombre dans T y a un 1 et un 1 autrement“ désigne et ne désigne pas un nombre dans T.

Les paradoxes sémantiques qui n'impliquent pas définiabilité:

  • Le paradoxe du menteur: „Je suis faux“ est vrai et faux.

  • Le paradoxe du savoir: „Je suis su“ peut et ne peut pas être su.

  • Le paradoxe de Grelling: le prédicat „hétérologique“ (= ne se satisfait pas lui-même) se satisfait et ne se satisfait pas lui-même.

Les deux paradoxes les plus connus sont celui du menteur et de l'ensemble de Russell. Appelons "Le Menteur" la phrase suivante:

(Menteur)      Le Menteur est faux.

Voilà la dérivation du paradoxe:

(1)

Le Menteur est ou bien vrai ou bien faux.

(2)

Si le Menteur est vrai, alors il est vrai que le Menteur est faux.

(3)

Si le Menteur est vrai, alors le Menteur est faux.

(4)

Si le Menteur est faux, alors il est vrai que le Menteur est faux.

(5)

Si le Menteur est faux, alors le Menteur est vrai.

(C)

Le Menteur est vrai ssi le Menteur est faux.

Voilà un autre paradoxe, qui s'appelle "Le Menteur Renforcé" qui ne relie pas sur le principe de bivalence :

(Menteur Renforcé)      Le Menteur Renforcé n'est pas vrai.

Voilà le paradoxe:

(1)

Le Menteur Renforcé est ou bien vrai ou bien il ne l'est pas.

(2)

Si le Menteur Renforcé est vrai, alors il est vrai que le Menteur Renforcé n'est pas vrai.

(3)

Si le Menteur Renforcé est vrai, alors le Menteur Renforcé n'est pas vrai.

(4)

Si le Menteur Renforcé n'est pas vrai, alors il est vrai que le Menteur Renforcé n'est pas vrai.

(5)

Si le Menteur Renforcé n'est pas vrai, alors le Menteur Renforcé est vrai.

(C)

Le Menteur Renforcé est vrai ssi le Menteur Renforcé n'est pas vrai.

Ce paradoxe ne relie pas sur la bivalence, mais sur un principe plus faible qui est celui de la non-contradiction, c'est-à-dire le principe qu'aucune phrase peut être vraie est fausse en même temps.


Saul Kripke, dans un fameux article de 1975, a noté qu'il y a des phrases paradoxales de la même manière que le „Menteur“ qui n'impliquent pas d'auto-référence et qui ne sont paradoxales que d'une manière contingente. Voilà ses deux examples:

(1)

(dit par a lundi): Tout ce qui dit b mardi est vrai.

(2)

(dit par b mardi): Tout ce qui dit a lundi est faux.

Supposons que a etbne disent rien d'autre pendant ces jours. Si (2) est vrai, alors (1) est faux et alors (2) est faux, étant la seule chose que b dit mardi. Si (2) est faux, alors (1) doit être vrai, étant la seule chose que dit a lundi, alors (2) est vrai. Un exemple d'un paradoxe „contingent“ est le suivant:

(1)

La majorité de tout ce que dit Nixon sur Watergate est faux.

(2)

Tout ce que dit Jones sur Watergate est vrai.

Supposons que (1) et (2) sont vrais. Il s'ensuit un paradoxe si on suppose que:

  • (1) est dit par Jones

  • (1) est la seule phrase dite par Jones sur Watergate.

  • A part de (2), la moitié de ce que dit Nixon sur Watergate est vrai.

Si (1) est vrai, alors (2) doit être faux, mais alors (1) était faux. Si (1) est faux, (2) doit être vrai, mais alors (1) est vrai. Si on supposerait une autre partition sous (iii) (par example si presque tout que disait Nixon sur Watergate était faux), on n'aurait pas de paradoxe: les deux phrases étaient vrai dans ce cas, (2) étant un des rares énoncés vrais de Nixon.

Il y avait beaucoup de discussions sur la nature de ces paradoxes et sur la question à savoir s'ils sont liés ou même identiques. Graham Priest, dans un excellent article de 1994, „The Structure of the Paradoxes of Self-Reference“, a défendu la dernière position en y concluant un „Principle of Uniform Solution“: „same kind of paradox, same kind of solution“ (1994: 32).

A. Première solution: „Vicious Circle Principle“

L'idée à la base de ce premier type de solution est d'identifier un principe qui donne naissance au cercle vicieux à la base du paradoxe. Le candidat de Russell était:

(VCP)      No totality can contain members fully specifiable only in terms of itself.

Le problème avec VCP est qu'il n'a pas de justification indépendante des paradoxes, et même il paraît qu'il y a des cas non-problématiques qui violent VCP. Dans la sémantique, on pourrait par exemple penser au „paradoxe du préface“: beaucoup d'auteurs s'excusent dans le préface de leur livre pour leurs erreurs, imliquant ainsi qu'il y en a. Mais la phrase

(Pref)      Il y a au moins une phrase dans ce livre qui est fausse.

est paradoxale, parce qu'automatiquement vrai. Si elle est fausse, alors il n'y a que de phrases vraies dans le livre et elle est donc vraie. Mais même si elle est vraie, elle ne peut pas être la seule phrase fausse, parce qu'autrement elle serait fausse.

Pour le théorie des ensembles, on pourrait penser à des théories d'ensembles qui font sans l'axiome de fondation (ou de régularité) et admettent donc des ensembles qui se contiennent eux-mêmes comme éléments. Il a été prouvé (Aczel 1987) que ZFC(AFA), c'est à dire ZFC sans l'axiom de foundation mais avec un axiom supplémentaire de „anti-foundation“, est consistent si ZFC est consistent.

Un autre essai à identifier un seul principe à la base des différentes paradoxes a été fait par Priest (1994). Suivant une idée qu'il a trouvé chez Russell („On Some Difficulties in the Theory of Transfinite Numbers and Order Types“, 1905), il identifie le suivant comme le noyeau des paradoxes (1994: 28), le „Qualified Russell Schema“:

Donné des propriétés F et G et une fonction (possiblement partielle) p

(1)

w = { x | Fx } existe et G(w)

(2)

si x est un sous-ensemble de w tel que Gx, alors

(a)

p(x) n'est pas un élément de x ("Transcendence Condition")

(b)

p(x) est un élément de w ("Closure Condition")


De (1) et (2), on dérive une contradiction comme suivant: Comme G(w), p(w) n'est pas (par (a)) un élément de w et est (par (b) un élément de w. Priest montre comment tous les paradoxes ont cette forme.

  • Pour les paradoxes mathématiques, on prend G comme la propriété universelle (par exemple la propriété d'être identique à soi-même).

    • Pour le paradoxe de Cantor, F est être un ensemble et p est l'identité

    • Pour le paradoxe de Russell, F est ne pas contenir soi-même comme élément et p est l'identité.

    • Pour le paradoxe Burali-Forti, F est être un nombre ordinal et p(x) est le nombre ordinal minimal plus grand que tout élément de x

    • Pour le paradoxe de Mirimanoff, F est être bien fondé et p(x) est l'ensemble de tous les sous-ensembles de x

  • Pour les paradoxes sémantiques qui impliquent la notion de définiabilité, G est un notion dérivé de celle-ci:
    • Pour le paradoxe de König, F est être un nombre ordinal définissable, G est être définissable et p(x) est le nombre ordinal minimal qui n'est pas dans x

    • Pour le paradoxe de Berry, F est être un nombre naturel définissable en moins de 15 mots, G est être un nombre naturel définissable en moins de 10 mots et p(x) est le nombre naturel minimal qui n'est pas dans x

    • Pour le paradoxe de Richard, F est est un nombre réel définissable entre 0 et 1, G est définissable et p(x) est le nombre réell trouvé par diagonalisation qui ne'est pas dans une liste x de nombre réels

  • Pour les paradoxes sémantiques qui n'impliquent pas la notion de définiabilité, on a:

    • Pour le paradoxe du Menteur, F est être vrai, G est être définissable et p est une fonction qui prend un ensemble définissable x et en fait une phrase qui dit d'elle même qu'elle n'appartient pas à x

    • Pour le paradoxe du savoir, F est être su, G est être définissable et p est une fonction qui prend un ensemble définissable x et en fait une phrase qui dit d'elle même qu'elle n'appartient pas à x

    • Pour le paradoxe de Grelling, F est ne pas être satisfait par soi-même, G est être définissable et p est une fonction qui prend un ensemble définissable x et en fait un prédicat qui dit de quelque chose qu'il n'appartient pas à x.



B. Deuxième solution: „grounding“, hierarchie

Le logicien polonais Alfred Tarski a prouvé, dans un fameux article de 1933 intitulé „Der Wahrheitsbegriff in den formalisierten Sprachen“, que toute langue contenant un prédicat qui est vrai exactement de toutes ses phrases qui sont vrais (qui est „sémantiquement fermée“ dans ce sens-ci) est inconsistante. Il montre, cependant, comment définir un prédicat non-contradictoire qui s'applique à toutes les phrases vraies d'une langue L1, mais qui n'appartient pas à cette langue L1(nommée „language objet“) mais à une autre langue L2 (nommée „métalanguage“).

Cette procédure de Tarski génère donc toute une hierarchie de langues tel que toute langue est capable d'exprimer le prédicat de vérité de celle qui la précède, mais aucune est capable d'exprimer son propre prédicat de vérité.

Un avantage de la solution hierarchique, stigmatisant comme paradoxales les phrases non-basés, est - selon Herzberger (1970: 150) - qu'elle permet d'expliquer pourquoi la phrase suivant, bien que ne pas paradoxale, est quand même bizarre:

(Sam)      Sam est vrai.

et d'exclure des séquences comme la suivante:

<S1: S2 est vrai, S2: S3 est vrai, S3: S4 est vrai, .... >

L'idée à la base du traitement des paradoxes sémantiques critiqué par Herzberger (1970) est la définition d'un prédicat „basé“. Définissions un foncteur about(p) comme suivant: about(p)={x / p est à propos de x} pour toute phrase p. Une phrase est non-basée („groundless“) ssi, pour tout nombre n, aboutn(p) est non-vide (où „“aboutn “ abbrévie la nième itération du foncteur). Herzberger montre (1970: 151) que le prédicat “basé“ comme défini est paradoxale, parce que la phrase:

(1)      Grounded sentences are immune to the Liar paradox.

ou toute phrase qui parle de la totalité des phrases basés est au même temps basé (n'étant uniquement à propos des phrases basées) et n'est pas basé (parce que, (1) étant basé, (1) parle de (1)). Il en conclut que toute system conceptuel (qui satisfait quelques conditions élémentaires) est incapable d'exprimer le concept „basé“, tout comme toute langue est incapable de contenir son propre prédicat „vrai“.

C. Troisième solution: l'approche axiomatique

Pour les paradoxes dans la théorie des ensembles, l'approche „pragmatique“ de la plupart des mathématiciens était de rester content avec une certaine position „structuraliste“, c'est-à-dire d'adopter un des systèmes axiomatiques qui ne permettent pas la dérivation des paradoxes connues (même si leur consistence est démontrablement indémontrable) et appeler „ensemble“ toute structure mathématique qui satisfait ces axiomes.

les différentes types de solutions à ces paradoxes

On pourrait dire, avec Bromand (2001), qu'il y a quatre types de réponses à ces paradoxes:

  • Le diagnostique ontologique: Selon lui, les paradoxes viennent du fait que nous supposons à tort que quelques entités (des ensembles ou des propositions paradoxales) existent
  • Le diagnostique épistémologique: Selon lui, les paradoxes viennent du fait que nous sommes incapable de concevoir certaines notions (d'ensembles, de vérité etc.) d'une manière non-contradictoire; les paradoxes dérivent donc d'une certaine limitation de notre capacité à penser.

  • Le diagnostique sémantique: Selon lui, les paradoxes nous montrent que nous devons renoncer à quelques principes de notre sémantique standard, par exemple au principe de la bivalence.
  • Le diagnostique logique: Selon lui, les paradoxes nous montrent que notre logique est fausse, que nous devons renoncer par exemple au principe du tiers exclu et adopter la logique para-consistente qui admet des contradictions.

Le diagnostique ontologique est la réponse standard en mathématiques aux paradoxes mathématiques et a été défendu, pour la sémantique, par exemple par Patrick Grim (1991). Le diagnostique épistémologique n'a pas été traité beaucoup, mais a récemment été discuté par Bromand (2001). Le diagnostique sémantiques est le plus courant par rapport aux paradoxes sémantiques et a mené, par exemple, au dévelopement de différentes théories formelles de la vérité. Le diagnostique logique est celui de Priest dont on va parler ci-dessous.



le statut des contradictions

Graham Priest a défendu dans plusieurs articles la position selon laquelle il y a des contradictions vraies, c'est à dire que le principe de non-contradiction est faux. Il est devenu l'exponant contemporain le plus important d'une groupe d'auteur qui défendent une telle conception nommée „dialetheisme“ et qui essayent de développer des logiques paraconsistentes. Une relation de conséquence logique |- est paraconsistente ssi elle n'est pas explosive. Elle est explosive si le suivant est vrai:

(1)     Pour toutes propositions A et B:   A & -A|- B

c'est à dire ssi on peut déduire tout d'une contradiction. Une logique est paraconsistente ssi sa relation de conséquence est paraconsistente. Une théorie (un ensemble de proposition) est inconsistente ssi elle contient une contradiction, c'est à dire et A et -A pour une proposition A. Une théorie est triviale ssi elle contient toutes les propositions. Une théorie est paraconsistente ssi elle est inconsistente mais elle n'est pas triviale. Quelqu'un qui défend une conception paraconsistente de la logique ne doit pas être dialetheiste. Il suffit qu'il le considère utile de ne pas exlure le dialetheisme pour des raisons logiques seules. Selon Priest, il faut étudier des logiques paraconsistentes en particulier pour deux raisons:

  • (A) Il y a des théories inconsistentes mais non-triviales.

    Parmi les exemples qu'il donne se trouve des théories suivantes:

    • la théorie des ensembles naïve (avec compréhension non-restreinte)

    • la sémantique naïve (avec un schéma (T) non-restreint)

    • la théorie de l'atome de Bohr

    • le calcul de Leibniz

  • (B) Il y a des contradictions vraies.

    • Il cite notamment les conclusions des paradoxes sémantiques et mathématiques.

    • Un autre exemple: „Je me trouve dans la salle“, évalué au moment où je me trouve exactement sur la ligne au milieu de la porte: parce que la situation est symmétrique, je suis ou bien dedans et dehors ou bien ni dedans ni dehors. Comme je me trouve dedans si je ne me trouve pas dehors, le deuxième cas se réduit ou premier. Alors je suis et dedans et dehors.



La logique paraconsistente de Priest:

Une valuation est une fonction v qui assigne à toute proposition élémentaire un élément de V={{1},{0},{0,1}}, définie par les clausules suivantes (où "\in" abbrévie la relation d'appartenance entre un ensemble et un de ses éléments):

1 \in v(-A) ssi 0 \in v(A)

0 \in v(-A) ssi 1 \in v(A)

1 \in v(A&B) ssi 1 \in v(A) et 1 \in v(B)

0 \in v(A&B) ssi 0 \in v(A) ou 0 \in v(B)

1 \in v(AvB) ssi 1 \in v(A) ou 1 \in v(B)

0 \in v(AvB) ssi 0 \in v(A) et 0 \in v(B)

Dans une logique classique, avec V={{1},{0}}, les clauses droites sont redondantes. La relation de conséquence est définie comme suivant:

     S |- A ssi pour toute valuation v, ou bien 1 \in v(A) ou pour un B \in S, 1 \not\in v(B).

Elle nous donne une notion de validité:

     A est valide ssi pour toute valuation v, 1 \in v(A).

Cette logique est paraconsistente, mais elle garde toutes les tautologies classique qui contiennent au moins deux lettres schématiques („A“ et „B“). Le seule principe classique invalide dans cette logique est le syllogisme disjonctive et ses variantes:

     {A, -AvB} |- B

Avec ce principe, on déduirait n'importe quelle proposition B d'une phrase paradoxale A (telle que A et -A sont vrais). La logique serait donc explosive.

Dans un article de (1998), Priest a identifié cinq raisons pour la hostilité répandue contre les contradictions et a essayé de montrer pourquoi elles ne sont pas bonnes:

(1)

Des contradictions impliquent tout.

Il faut choisir une logique non-explosive.

(2)

Des contradictions ne peuvent pas être vraies.

Mais voici les conséquences des paradoxes.

(3)

Des contradictions ne peuvent pas être crues d'une manière rationale.

Il y a des contre-exemples, par ex. la conclusion du paradoxe du préface: Si on écrit une étude bien recherché on affirme p1 & p2 & p3 & ... & pn, c'est-à-dire l'ensemble des propositions contenues dans le livre. Mais il est rationel de s'excuser pour ses fautes dans le préface, impliquant qu'il y en a. Alors il est également rationel d'affirmer - (p1 & p2 & p3 & ... & pn), affirmant une contradictions.
En tout cas, la consistence n'est pas le seul critère de rationalité: il y a des croyances irrationelles mais consistentes. La vertue de la consistence peut être compensé par d'autres vertues. Une autre raison pourquoi il peut être rationel de croire des contradictions c'est que „truth trumps falsity“. La valeur épistémique de l'acquisition des vérités est supérieure à celle d'éviter des faussetés.

(4)

Si des contradictions seraient acceptables, on ne pourrait plus critiquer personne.

Cette objection fait une transition illégitime de „quelques-uns“ à „tous“. Même si quelques contradictions sont vraies, celà ne veut pas dire que toutes les contradictions sont vraies. En plus, les contradictions sont a priori improbables.

(5)

Si des contradictions seraient acceptables, on ne pourrait plus nier rien.

Nier que p ne veut pas dire qu'affirmer non-p. Contra Frege, il faut distinguer entre négation et affirmation de la négation. En plus, on peut se rendre compte qu'on a un ensemble inconsistent de croyances.


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