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Le terme "survenance" a une histoire vénérable (Horgan 1993). Le concept (et même le mot) était utilisé par Leibniz pour dire que les relations ne sont rien d'autre que des propriétés intrinsèques de leurs termes. Les émergentistes Britanniques utilisaient le concept (mais pas le mot) pour caractériser les sciences particulières ('special sciences') (McLaughlin 1992), Sidgwick l'utilisait pour dire que les propriétés morales covarient avec les propriétés non-morales, Moore (1922, 261) pour dire que les premières sont fondées sur les secondes, Hare (1952, 80-81) pour dire qu'elles sont dans une relation d'implication stricte (implication nécessaire) et finalement Davidson (1970a, 214) l'utilisait pour dire que les "mental caracteristics are in some sense dependent, or supervenient, on physical caracteristics" (cf. Kim 1990, 136-138)). Voici comment Robert Stalnaker (1996) décrit les "idées intuitives motivant les tentatives d'articuler des concepts de survenance":
Remarquons que, au moins à première vue, ces idées intuitives n'ont pas de forme modale.
Kim (1990, 140) identifie trois aspects du concept de survenance qu'une définition adéquate devrait préserver: covariance, dépendance et non-réductibilité (c'est-à-dire que la survenance de B sur A devrait être compatible avec l'impossibilité de réduire les propriété survenantes aux propriétés sous-venantes).74 Il n'est, par contre, pas requis qu'une définition de la survenance la rende explicative: une thèse de survenance est l'affirmation d'une covariance entre les exemplifications de deux propriétés dépendantes, mais ne requiert pas par elle-même une explication de cette covariance.
Outre son intérêt en soi, l'utilité de la notion de survenance réside surtout dans son utilisation pour la formulation de thèses philosophiques importantes, telles que:
Dans tous ces cas, une thèse métaphysique de survenance peut être combinée avec d'autres thèses épistémologiques:
Nous avons déjà (dans sct. 1.1) introduit trois notion plus précises de survenance. Il nous faut maintenant les regarder de plus près pour déterminer en quel sens elles correspondent à nos desiderata.
Une première notion, souvent appelée "survenance faible", est appellée par (Jackson 1998a: 9) survenance intra-monde:
Deux objets sont B-indiscernables s'ils sont indiscernables par rapport à toute propriété en B: ∀ F ∈ B (Fx → Fy).
Kim (1984: 64) montre que sous certaines conditions,76 cette définition est équivalente à:
∟ ∀ x∀ F ∈ A (Fx → ∃ G ∈ B (Gx ∧∀ y (Gy → Fy)))
Cette définition permet une variation des bases de survenance en B, ce qui est important pour tenir compte du phénomène de 'réalisabilité multiple' (Putnam (1975b: 293), Boyd (1980: 88)): la même propriété en A peut être impliquée par différentes propriétés en B dans différentes exemplifications. Une propriété survenante (comme la propriété de ressentir de la douleur) survient sur différentes propriétés dans différents organismes (par ex. différents états cérébraux).
La survenance intra-monde (8), comme le dit Jackson (1998a: 10), est clairement trop faible pour compter comme une espèce de détermination: les dépendances relationelles, même les dépendances relationelles génériques, ne sont pas capturées; nous n'avons pas la garantie que la nature B d'une chose garantit seule sa nature A. La survenance intra-monde capture donc le premier (covariance), mais pas le deuxième critère de Kim (dépendance). La propriété d'être parmi les choses les plus grandes, par exemple, survient localement (intra-monde) sur la taille qu'un objet a, mais n'est pas déterminée par sa taille seule et dépend également des tailles des autres objets dans ce monde. La survenance intra-monde ne satisfait donc pas la condition "fixing the base properties of an object fixes its supervenient properties" (Kim 1984: 60). Elle ne supporte pas des contre-factuels du type: si quelque chose avait les propriétés sous-venantes, alors cette chose aurait aussi les propriétés survenantes. Nous devons donc la renforcer.
Une deuxième notion, appelée "survenance forte", compare les particuliers partageant les propriétés sous-venantes non seulement dans un monde, mais à travers tous les mondes possibles:
La différence principale entre la survenance faible (8) et la survenance forte (9) réside dans le fait que nous avons dans la survenance forte à la fois une équivalence matérielle de propriétés sous-venantes et survenantes et une équivalence stricte (nécessaire). Kim (1984: 65) a montré que sous les mêmes conditions qu'avant (cf. n. 76 plus haut), (9) revient à (cf. aussi Kim 1987: 81):
∟ ∀ x∀ F ∈ A (Fx → ∃ G ∈ B (Gx ∧ ∟∀ y (Gy → Fy)))
Cela veut dire qu'une thèse de survenance inter-monde nous oblige à accepter une implication nécessaire des propriétés A aux propriétés B. Par conséquent, elle s'approche d'une thèse réductionniste et est incompatible par ex. avec l'autonomie que Davidson veut accorder aux propriétés mentales.77 Elle capture donc le premier, et peut-être le deuxième, mais pas le troisième critère de Kim (non-réductibilité).
Une troisième notion de survenance est la survenance globale:
Deux mondes possibles sont B-indiscernables ss'ils ont la même distribution de propriétés en B. Cette définition entraîne des difficultés sur lesquels nous reviendront plus tard.
La survenance globale est impliquée par, mais n'implique pas la survenance forte (intra-monde).78 Sous certaines conditions, cependant, les deux notions coïncident: Paull et Sider (1992, 850) ont montré, par exemple, que les deux définitions sont équivalentes si toutes les propriétés en question sont intrinsèques.
Il y a deux questions principales que nous devons aborder par rapport à cette notion:
Au sujet de la première question, il semble clair qu'il ne s'agit pas d'une 'réduction' dans le sens classique. D'après la définition classique de Nagel (1961), une réduction théorique est une relation entre des théorie qui consiste en la déduction des lois ou axiomes de la théorie réduite des lois ou axiomes de la théorie réduisante, avec l'aide de 'principes de pont' ('bridge principles') qui affirment une équivalence (au moins extensionnelle, peut-être même intensionnelle) entre les prédicats primitifs de la théorie réduite et certain prédicats de la théorie réduisante. Une thèse de survenance globale nous fournit beaucoup moins que ça:
Cependant, comme l'a soutenu Petrie (1987: 122-123), la survenance globale ne nous assure ni d'une réductibilité des types (prédicats) ni d'une réductibilité des tokens (exemplifications). Tout ce qu'elle nous garantit est l'existence de connexions entre des descriptions totales des exemplifications des propriétés respectives à travers les mondes possibles:
Une telle connexion compte comme réduction ou non en fonction de deux considérations:
C'est surtout le deuxième point qui est crucial. Une thèse de survenance globale présuppose un accès antérieur aux possibilités: s'il y a survenance ou non dépend de quelles configurations d'objets et de propriétés sont possibles. La survenance des propriétés morales sur les propriétés non-morales, par exemple, est parfaitement compatible avec un non-naturalisme mooréen si nous prenons des lois comme "Tout ce qui a la propriété naturelle P exemplifie aussi la propriété d'être intrinsèquement bon" pour des vérités nécessaires qui limitent ce qui est possible. Sur ce point, la réaction de certains opposants de Moore semble appropriée:
Prenons la deuxième question: une propriété survenante est-elle un 'ajout ontologique' par rapport aux propriétés sur lesquelles elle survient? Pour motiver des thèses de survenance, on invoque souvent l'économie ontologique:
Il n'apparaît pas clairement comment cet anti-réalisme au sujet des propriétés survenantes peut être justifié avec les définitions données. Cela est particulièrement saillant dans le cas de la survenance entre objets. Armstrong a défendu une position anti-réaliste par rapport aux objets et propriétés survenants,80 mais il n'est pas du tout clair qu'une telle position est même cohérente. Oliver (1996: 31, n. 30) a soutenu que cette doctrine est "incohérente" et a dit: "Since supervenient entities exist and are not identical to the entities upon which they supervene, they must be an ontological addition." Lewis est de la même opinion:
Examinons d'abord la relation de dépendance ontologique, qui est l'explanandum des théories de survenance entre entités. Voici quelques applications possibles de la notion de dépendance ontologique dans la métaphysique:
Les candidats pour une explication de la dépendance ontologique:
Plausiblement, la théorie de la dépendance ontologique fait partie d'une théorie générale du faire (non-causal). Nous constatons une certaine ressemblance de famille entre les éléments suivants:
Il semble donc possible d'utiliser une de ces notions pour expliquer les autres: je propose d'analyser la relation de détermination et également la relation de dépendance ontologique en termes de la relation de rendre vrai:
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© 2007 Philipp Keller, Département de Philosophie, Université de Genève
Veuillez citer l'auteur si vous utilisez ce cours. ("Philipp Keller 2007, "Introduction à la métaphysique", cours virtuel á l'Université de Genève, chapitre 14") Questions et commentaires |
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