prochain chapitre | bibliographie | |
table de matières | glossaire | |
chapitre précédent | questions |
Abandonnons pour l'instant le projet de restreindre (max) et déterminons le prix que nous avons à payer pour le défendre.
Un premier problème concerne les vérités négatives: même si le sourire de Maria rend vrai "Maria sourit", qu'est-ce qui rend vrai que Sam, par contre, ne sourit pas? Il n'y a bien sûr pas de sourire de Sam qui puisse rendre cette phrase fausse, mais considérer que l'absence de falsi-facteurs est le vérificateur d'une vérité négative ne fait pas l'unanimité:
C.B. Martin a également critiqué l'idée selon laquelle la phrase "Il n'y a pas de pingouins arctiques" est rendue vraie par l'absence de falsi-facteurs (= pingouins arctiques) (Lewis 1992, 216):
Que sont ces états de choses négatifs? Une première possibilité est de dire que ce qui rend vrai "Il n'y a pas de pingouins arctiques", c'est l'absence ou le manque de pingouins arctiques. Cette absence, comme Martin le dit, peut être localisée (au moins dans ce cas). Mais un tel état de choses semble n'avoir aucune efficacité causale: l'absence de pingouins arctiques (et l'absence de falsifacteurs pour "il y a des pingouins arctiques") est une non-existence; elle n'existe pas dans l'ordre causal et ne peut donc pas avoir d'effets sur les choses qui existent. De plus, les absences sont difficiles à individuer: en quoi l'absence de pingouins arctiques se distingue-t-elle de l'absence de pingouins suisses? Si l'on admet le nécessitarisme, l'absence de pingouins arctiques et l'absence de pingouins suisses se différencient l'une de l'autre, puisque chacune de ces absences peut 'exister' sans l'autre. Il semble donc que celui qui a recours aux absences pour répondre à notre question doive en postuler un grand nombre.
Une solution encore plus radicale a été proposée par J.C. Beall (2000): selon lui, les états de choses qui rendent vrais les énoncés négatifs ont une polarité négative et se distinguent des états de choses positifs uniquement par le substitution de la polarité négative 0 à la polarité positive 1. Cela pose au moins trois problèmes:
On maintient souvent que la question des vérifacteurs pour les vérités négatives montre l'inconsistance de la combinaison d'affirmations suivante (Molnar 2000):
Armstrong (2004b, 82) rejette (ii), Simons (2005, 256) (iv); Mumford (2005, 268) affirme que "vrai" est appliqué différemment dans (iii) et (iv): si l'on prend le sens fort de "vrai", il rejette (iii); si l'on prend le sens 'dégénéré' et faible de "vrai", il rejette (iv) (Mumford 2005, 267). Ce raisonnement est peu convaincant.
La solution de Simons qui restreint le maximalisme postule des affirmations contre-factuelles inexplicables:
Nous avons vu (dans la sct. 4.2) qu'Armstrong reprochait aux phénoménalistes de ne pas pouvoir expliquer ce qui rend vrai des affirmations comme "S'il y a avait quelqu'un devant cet arbre, alors il le verrait". Simons semble expliquer le fondement réel de la vérité qu'il n'y a pas de rhinocéros dans la salle par la différence possible que la fausseté de cette phrase créerait dans le monde - mais quel est le vérifacteur de cette affirmation?
Il semble que seule la solution d'Armstrong demeure et qu'il faille accepter l'existence de choses négatives.
Comme vérifacteurs pour des vérités d'ordre négatif et général, Armstrong, à la suite de Russell, postule des états de choses de totalité ("totality states of affairs"):
Un état de chose de totalité c'est la subsistance d'une relation entre une somme méréologique d'entités et un universel nommé 'relation de totalisation'. Le vérifacteur de "Tous les cygnes qui se trouvent maintenant sur le lac sont blancs" est l'état de choses que la propriété être un cygne blanc qui se trouve maintenant sur le lac est épuisée (totalisée) par la somme méréologique de tous les cygnes sur le lac (Armstrong 2004b, 72). Ce même état de choses rend vrai qu'il n'y a pas de cygne noir sur le lac maintenant. Par exemple, ce qui rend vrai que Théétète ne vole pas est l'état de choses qu'une certaine collection de propriétés (ne contenant pas la propriété voler) totalise la propriété être une propriété de Théétète.
Dans cet état de choses, la négativité ne réside que de manière cachée - elle est 'encapsulée' dans la relation de totalisation. Ce qui rend vrai "Théétète ne vole pas" est que la totalité de ses propriétés totalise la propriété d'être une propriété de lui. L'état de chose de totalité est l'obstention de la relation de totalisation entre la somme de toutes les propriétés de Théétète et la propriété de toutes ses propriétés d'être une propriété de lui.
Ce n'est pas la somme de toutes les propriétés de Théétète elle-même, mais l'état de choses qu'elle totalise cette autre propriété. Cet état de choses est négatif, puisqu'il est équivalent à ce qui rend vrai "la totalité des propriétés de Théétète ne contient pas la propriété de voler, ni la propriété d'être un oeuf poché, ni la propriété d'être à Berne etc." pour toutes les propriétés que Théétète n'a pas.
Pour les assertions d'existence négatives ("il n'y a pas de licornes"), Armstrong postule un état de choses de totalité maximal qui implique toutes les vérités, aussi bien les vérités négatives que les générales:
Il n'est pas évident de déterminer le sens dans lequel on peut dire que les états de choses de totalité plus petits sont 'donnés' par ce monstre ontologique que Forrest et Khlentzos (2000, 7) ont appelé le "Porky the Pig fact" ("That's all folks").
Alors qu'Armstrong (1989b, 88) a d'abord limité le principe de vérifacteur sur des vérités contingentes, il (Armstrong 1997, 149) a par la suite affirmé que cela serait "an enormous and implausible disvaluing of modal truths". Pour cette raison, il a avancé que ce sont les relations d'identité et de différence entre les constituants de leurs vérifacteurs qui rendent vraies les vérités modales (Armstrong 1997, 150). Les relations d'identité et de la différence sont des relations internes.29 Si deux choses se trouvent dans une relation interne, ces choses mêmes rendent vrai qu'elles se trouvent dans cette relation. De cette manière, la somme méréologique des constituants de leurs vérifacteurs rendrait vraies les vérités modales.
Par contre, dans un ouvrage ultérieur, Armstrong (2004b, 83-85) se réfère au 'Principe de Possibilité' ("Possibility Principle") pour assurer la survenance des faits modaux sur les faits actuels. Selon ce principe, les vérifacteurs rendraient également la possibilité de leur négation vraie pour des vérités contingentes. La totalité des caractéristiques de Théétète ne rend dans ce cas pas seulement vrai qu'il ne vole pas, mais également qu'il pourrait voler.
Armstrong (2004b, 111 et 2005, 271) donne l'argument suivant pour le principe de possibilité:
Mais même si nous accordons à Armstrong la quatrième prémisse, l'argument est simplement un non sequitur: (v) ne s'ensuit ni de (iv), ni de (i) à (iv) ensemble. Armstrong dit simplement que l'étape est évidente.30 Mais elle ne l'est pas. Même si nous supposons que e est le vérifacteur de p, de "e existe" et de "il est possible que e n'existe pas", il ne s'ensuit pas que e est aussi le vérifacteur pour "il est possible que ¬p": qu'il y a un monde où e n'existe pas ne montre pas qu'il y a un monde où p est faux, parce que p pourrait être rendu vrai par quelque chose d'autre que e dans ces mondes.
prochain chapitre | bibliographie | |
table de matières | glossaire | |
chapitre précédent | questions |
|
|
© 2007 Philipp Keller, Département de Philosophie, Université de Genève
Veuillez citer l'auteur si vous utilisez ce cours. ("Philipp Keller 2007, "Introduction à la métaphysique", cours virtuel á l'Université de Genève, chapitre 5") Questions et commentaires |
Webmestre… |