Département de Philosophie

Faculté de lettres, Université de Genève

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"If we know what shape is, we know that it is a property, not a relation."
(Lewis 1986a, 203)

Les définitions de l'intrinsèque chez Lewis

Les propriétés intrinsèques sont des propriétés qui caractérisent des choses en elles-mêmes et non par référence à d'autres choses. Une propriété intrinsèque F de a est une propriété que a possède en raison de la manière d'être de a (et non en raison de la manière d'être d'autres objets); si a exemplifie F ou non, dépend uniquement de a; les propriétés intrinsèques ne dépendent pas de ce qu'il se passe en 'dehors' de a. L'opposition "intrinsèque"/"extrinsèque" est parfois caractérisée en termes de natures "inhérentes" et "adhérentes":

"Any item can plainly gain or loose an adherent feature without undergoing any real (inherent) alteration, and no real alteration in the item's inherent caracteristics can by itself guarantee that any adherent feature will be gained or lost." (Campbell 1990 , 43-44)

À la suite de Chisholm (1976, 127), Jaegwon Kim (1982, 59-60, 194) a qualifié une propriété F de a comme intrinsèque si elle est compatible avec la solitude de a, c'est-à-dire qu'elle pourrait être exemplifiée par a en l'absence de toute autre chose disjointe de a. Lewis (1983a) a critiqué cette définition en soutenant qu'elle repose sur l'idée erronée que la propriété d'être seul (ne pas être accompagné par une chose disjointe) est intrinsèque. Dunn (1990a, 182) a relevé un autre problème affectant la définition de Kim: chaque vérité logique p déterminera la 'propriété' intrinsèque d'être tel que p est le cas. C'est à cause de ces deux problèmes que Lewis (1983a, 26) a défini les propriétés intrinsèques comme les propriétés qui sont invariantes sous duplication (qui ne distinguent jamais deux choses qui sont des duplicata l'une de l'autre). Il définit la duplication comme un avoir en commun complet de toutes les propriétés et relations parfaitement naturelles:37

Définition I (première définition par Lewis de l'intrinsèque) F est intrinsèque si et seulement si pour tous les x et y, si x et y ont toutes leurs propriétés et relations parfaitement naturelles en commun, alors Fx ssi Fy.

Def. (I) considère comme intrinsèques toutes les propriétés qui surviennent sur les propriétés et sur les relations parfaitement naturelles: il est impossible que deux choses se distinguent en termes de propriétés intrinsèques sans se distinguer en termes de propriétés ou relations parfaitement naturelles. Les propriétés parfaitement naturelles sont automatiquement intrinsèques d'après cette définition. La notion de duplication et celle de propriété intrinsèque sont interdéfinissables: les duplicata ont toutes leurs propriétés intrinsèques en commun; des objets qui ont toutes leurs propriétés intrinsèques en commun sont des duplicata.

David Lewis et Rae Langton (1998) ont tenté une nouvelle fois de rompre le cycle d'interdéfinition des propriétés intrinsèques et de la duplication. Si l'on part d'une conception libérale des propriétés ('abundant properties', des ensembles d'objets possibles, cf. p. 42), nous pouvons définir comme propriétés "intrinsèques basiques" celles qui sont (i) qualitatives (non-haeccéitistes), (ii) pures (sans référence à des objets concrets), (iii) indépendantes de la solitude, (iv) indépendantes de la non-solitude et qui ne sont (v) ni disjonctives (vi) ni des négations de propriétés disjonctives ('co-disjonctives') (Lewis et Langton 1998, 121). Une propriété est indépendante de la solitude s'il est possible qu'elle soit exemplifiée par un objet seul (qui ne co-existe qu'avec ses parties) et qu'il est également possible qu'elle ne soit pas exemplifiée par un objet seul. Ils appellent une propriété 'disjonctive' si elle est exprimée par un prédicat disjonctif, mais n'est pas naturelle ou beaucoup moins naturelle qu'au moins l'un de ses disjoints. Deux objets sont ensuite appelés des duplicata ssi. ils ont les mêmes propriétés intrinsèques basiques. Comme avant, une propriété est intrinsèque si elle survient sur la duplication, à savoir sur les propriétés intrinsèques basiques:

Définition 2 (deuxième définition de Lewis de l'intrinsèque) F est intrinsèque si et seulement si pour tous les x et y, si x et y ont toutes leurs propriétés intrinsèques basiques en commun, alors Fx ssi. Fy.

Si nous admettons que chaque objet non-solitaire possède un duplicata solitaire et que chaque objet solitaire possède un duplicata non-solitaire, alors chaque propriété contingente intrinsèque qui n'est ni disjonctive ni la négation d'une propriété disjonctive est une propriété intrinsèque basique (Lewis et Langton 1998, 126-127).

Une définition analogue des relations intrinsèques basiques nous fournit une notion de l'intrinsèque pour les relations:

Définition 3 (Relations intrinsèques) Une relation est intrinsèque ssi. elle survient sur les propriétés intrinsèques basiques de ses termes et leurs relations intrinsèques basiques.

Si nous appelons deux paires <x1, x2 > et <y1, y2 > des duplicata si x1 et y1 sont des duplicata, x2 et y2 sont des duplicata et x1 se trouve dans les mêmes relations intrinsèques basiques à x2 que y1 à y2, alors une relation est intrinsèque ssi. elle ne distingue pas des paires qui sont des duplicata. Parmi les relations intrinsèques, nous pouvons distinguer celles qui ne dépendent que des propriétés des termes et celles qui dépendent aussi de leurs relations intrinsèques basiques:

Définition 4 (Relations internes et externes) Une relation est interne ssi. elle survient sur les propriétés intrinsèques de ses termes (et ainsi sur leurs propriétés basiques intrinsèques). Une relation est externe ssi. elle est intrinsèque sans être interne.

Une relation interne comme la relation "avoir la même couleur que" survient sur les propriétés intrinsèques basiques de ses termes pris séparément: il n'est pas possible que deux choses cessent d'être de la même couleur sans qu'il y ait un changement dans leur propriétés intrinsèques basiques (leurs couleurs). Une relation externe survient sur les propriétés intrinsèques de ses termes et leurs relations intrinsèques basiques et non sur leurs propriétés intrinsèques seules: si la distance spatiale est une relation intrinsèque basique, alors c'est une relation externe. Une relation externe, finalement, est soit disjonctive, soit incompatible avec l'accompagnement ou la solitude de la paire de ces termes. Un exemple serait "avoir le même propriétaire que", une relation qui obtient par ex. entre mon stylo et mon chapeau, mais qui ne peut pas obtenir sans que moi j'existe (en plus du stylo et du chapeau).



Complications de ces définitions

Qu'une propriété soit intrinsèque ou non peut dépendre de l'objet qui l'exemplifie.38 C'est pour cela que nous avons besoin d'une version 'locale' de la définition de l'intrinsèque:

Définition 5 (version locale de la deuxième définition de Lewis de l'intrinsèque) F est intrinsèque à a ssi. pour tous les x, si x est un duplicata de a, alors Fx ssi. Fa.

Il n'est pas le cas que toute propriété intrinsèque à quelque chose est intrinsèque tout court.39

L'ensemble des propriétés intrinsèques à a est fermé sous la négation, la conjonction et l'implication matérielle: si F et G sont des propriétés intrinsèques à a, alors ¬F, F ∧ G (être F et G) et F → G (être G si l'on est F) le sont aussi.40 Les propriétés qui sont localement intrinsèques à toutes les choses sont intrinsèques tout court.41

La deuxième définition de Lewis de l'intrinsèque (2) a le désavantage de présupposer la notion problématique de propriété disjonctive.42 C'est pourquoi Lewis (2001a, 387) a fait une autre proposition de définition:

Définition 6 (troisième définition de Lewis de l'intrinsèque) Une propriété Fx est intrinsèque ssi. (i) 'Fx' est indépendant de la solitude et de la non-solitude, (ii) 'Fx' est au moins aussi naturel que 'Fx ∧ x est accompagné', (iii) 'Fx' est au moins aussi naturel que 'Fx ∧ x est seul', (iv) '¬Fx' est au moins aussi naturel que '¬Fx ∧ x est accompagné' et (v) '¬Fx est au moins aussi naturel que ¬Fx ∧ x est seul'.

La clause (ii) veut dire, par exemple, que la propriété d'être F est aussi naturelle ou plus naturelle que la propriété conjonctive d'être et F et accompagné.



Les propriétés méréologiques

Les propriétés d'avoir une main et d'avoir les jambes plus longues que les bras sont clairement des propriétés intrinsèques miennes: rien d'autre que moi n'est requis pour que je les exemplifie. Elles sont intrinsèques d'après la première définition de Lewis (1) si nous présupposons (ce qui paraît plausible) que ma constitution est déterminée par mes propriétés naturelles. Mais sont-elles des propriétés intrinsèques basiques miennes? Il semble que cela n'est pas le cas: ma main ne pourrait pas avoir la propriété d'être ma main si je n'existais pas; mes jambes ne pourraient pas avoir la propriété d'être plus longues que mes bras si mes bras n'existaient pas. Il semble donc que les propriétés correspondantes qui m'appartiennent ne sont pas intrinsèques à moi dans le sens des déf. (2) ou (6), ce qui est contraire à nos intuitions.


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© 2007 Philipp Keller, Département de Philosophie, Université de Genève
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("Philipp Keller 2007, "Introduction à la métaphysique", cours virtuel á l'Université de Genève, chapitre 8")
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